Peux-tu rapidement nous présenter la MAIF ?
Au départ la MAIF (Mutuelle d’Assurance des Instituteurs de France) a été créée par un groupe d’instituteurs qui voulaient s’assurer ensemble. Jusqu’en 1988, elle n’assurait que le personnel de l’Education Nationale. En 1988, FILIA MAIF a été créée pour accueillir les enfants de sociétaires qui ne seraient pas dans l’Education Nationale. Puis, progressivement, elle s’est ouverte à tout le monde. Le groupe MAIF compte environ 6000 salariés, sur toute la France.
Depuis plusieurs mois, il y a un conflit avec la direction. Pourquoi ?
La direction nous impose une nouvelle organisation du travail. Elle exige une variabilité des horaires, y compris des horaires plus tardifs. Avant cette nouvelle organisation, le salarié faisait de la gestion de dossiers et répondait au téléphone. Il avait des horaires stables. Maintenant, la direction a procédé à une division du travail : prendre les appels téléphoniques et gérer les dossiers ne se fait plus en même temps. Pour répondre au téléphone, les salariés doivent tour à tour assurer des permanences téléphoniques dans un « pôle accueil » qui n’existait pas, auparavant, sur des plages horaires qui changent tous les jours. On ne finit donc jamais à la même heure.
Cela désorganise la vie des gens en obligeant, par exemple, les femmes qui ont des enfants, et dont les garderies ferment à 18h30, à trouver d’autres modes de garde, ce qui entraîne des coûts supplémentaires. On sait seulement 15 jours à l’avance si on va être de permanence téléphonique. Cela désorganise notre vie privée. Aujourd’hui, on nous impose de terminer certains jours à 18h30, sous couvert de « nécessité de service ». Mais demain, ce sera quoi ? 19h ? Puis 20h ? Puis le samedi matin ?
De manière générale, il y a un malaise, chez les salariés, face à la politique de productivité à outrance qui sous-tend cette nouvelle organisation. Par exemple, des centres d’appels téléphoniques (les « cats ») ont été mis en place dans une logique de productivité commerciale. Le but est de passer et recevoir le plus grand nombre d’appels téléphoniques. Dans les centres de gestion, les « pôles accueil » ont été mis en place dans le même but : recevoir le plus possible d’appels téléphoniques, répondre au plus grand nombre d’appels possibles.
Pourquoi la direction de la MAIF est-elle aussi préoccupée par le nombre d’appels téléphoniques traités ?
Parce que la concurrence joue là-dessus. Alors ils disent qu’il faut faire pareil, être les meilleurs sur le marché. Nous, nous n’avons rien à y gagner. Mais ils ont des objectifs à atteindre : il faut que nous répondions à 85% des appels entrants.
La direction dit que l’avenir c’est ça, et que si nous n’avons pas une bonne relation téléphonique avec les sociétaires, ils iront voir ailleurs, dans d’autres sociétés d’assurance. Mais une bonne relation téléphonique n’a rien à voir avec le fait de recevoir le plus d’appels possibles : c’est même l’inverse. Avec la nouvelle organisation, le sociétaire a peu de chances de tomber sur le gestionnaire de son dossier. Cela agace des sociétaires, qui nous disent : « ça fait 10 fois que j’appelle, 10 fois que j’explique mon cas, je n’ai jamais la même personne, j’aimerais parler à celle qui gère mon dossier. » Cela va à l’encontre de la qualité du service.
Comment a réagi la direction, face à la grève ?
De temps en temps, elle envoie des communiqués pour dire que la nouvelle organisation est un mal nécessaire, qu’il y a de la concurrence et que l’entreprise peut être mise en péril, etc. Dans le même temps, on a appris que le directeur s’était augmenté de 6% et le sous-directeur de 17% ! En plus on nous harcèle – je dis bien « harcèle » – avec les frais généraux qu’il faudrait diminuer. Ils cherchent à nous faire peur avec ce qui vient de se passer à la Camif. Pour nous mettre la pression, la direction se sert de la peur du chômage, de la peur qu’ont les salariés d’être virés.
La MAIF se présente comme « l’assureur militant »…
Elle véhicule à l’extérieur une image d’économie sociale, de mutualisme : on s’occupe des faibles et des pauvres, etc. Mais sur le terrain, c’est une gestion complètement capitaliste, avec la recherche d’un maximum de profits. En un sens, c’est même pire que les entreprises ouvertement capitalistes, du fait de cette hypocrisie, de la contradiction entre l’image que la direction veut donner et ce qu’elle fait réellement. Elle mène une politique individualiste de productivité et de rentabilité. L’esprit mutualiste n’y est plus du tout. La publicité qui est faite à la télé et dans la presse, avec le respect de la personne, n’est pas appliquée aux salariés ! C’est la productivité à outrance : on compte nos dossiers, on a des contrôles téléphoniques tous les 2 ou 3 mois, qui enregistrent comment on accueille les sociétaires, ce qu’on leur dit, dans le but d’accroître notre productivité.
Nos dossiers aussi sont contrôlés. L’encadrement prend des dossiers au hasard dans notre stock et les contrôle. Puis ils font des fiches individuelles à remplir sur ce qui a été fait, ce qui n’a pas été fait, ce qui aurait dû être fait… Ces contrôles exercent une pression sur les salariés : on se demande toujours si on a bien fait, ou moins bien que l’autre. La mise en place de la nouvelle organisation et des « pôles accueil » accentue ce phénomène : on peut plus facilement contrôler nos horaires et les appels. On nous demande de noter et d’imprimer le contenu de tous les appels, pour savoir à combien d’appels répond chaque personne, vérifier ce qu’elle a dit, et vérifier la suite qu’elle a donnée à l’appel. Le but de tout ça, c’est individualiser le travail, mettre les salariés en compétition les uns avec les autres. Cette nouvelle organisation divise les salariés encore plus qu’avant – bien qu’avec cette grève, on ait retrouvé une solidarité entre nous.
La Riposte propose de nationaliser les banques et les assurances, sous le contrôle des salariés. Qu’en penses-tu ?
Bien sûr, cela éviterait tous ces problèmes de concurrence et de rentabilité. On reviendrait à des choses plus essentielles, ce pour quoi la MAIF a été créée, en fait. Sous couvert de concurrence, la direction met en place des modes d’organisation basés sur l’exploitation des salariés pour les rendre plus rentables. Avec cette nouvelle organisation, ce n’est pas la technologie au service de l’homme, c’est vraiment l’homme au service de la technologie. Avec cet outil téléphonique, on a vraiment l’impression de devenir des esclaves de la machine.