En l’an 40 de notre ère, l’empereur romain Gaius, mieux connu sous le nom de Caligula, amassa une immense armée sur la côte nord de la Gaule. Dotés de navires, d’artillerie et de machines de guerre, les dizaines de milliers de légionnaires s’apprêtaient à traverser la mer et livrer bataille aux barbares d’outre-manche. Mais lorsque Gaius prit la parole, au lieu de lancer l’attaque, il renonça à l’invasion et demanda aux soldats de ramasser des coquillages, sur la plage.
Selon les consignes des confédérations syndicales, l’organisation d’une nouvelle journée – le 1er mai – était la seule suite à donner aux journées du 29 janvier et du 19 mars. De manifestation en manifestation, les salariés les plus militants se mobilisent. Mais la politique du patronat et de son gouvernement ne change pas.
Malgré l’ampleur impressionnante des mobilisations, aucune concession significative n’a été obtenue. Les fermetures, les délocalisations et les suppressions d’emplois se poursuivent. Le gouvernement dit très clairement que des journées d’action de ce genre n’auront aucun effet sur sa politique.
Sarkozy exige, au contraire, une accélération de ses réformes rétrogrades. Le MEDEF demande un assouplissement des procédures de licenciement. Laurence Parisot a même affirmé que les capitalistes n’avaient aucune responsabilité dans la situation sociale actuelle et ne devraient donc pas avoir à en faire les frais. Nos ennemis sont implacables. Une nouvelle série de journées d’action ponctuelles, aussi massives soient-elles, n’y changera rien. La stratégie actuelle des directions syndicales est dans une impasse. Très peu de travailleurs, et pratiquement aucun syndicaliste, croient encore en l’efficacité des manifestations et grèves de 24 heures. Que faire, après le 1er mai ? Ramasser des coquillages ? Allons-nous préparer une véritable grève générale illimitée, à l’instar des travailleurs antillais, ou allons-nous permettre aux capitalistes et à leur gouvernement de lancer une nouvelle vague d’attaques contre les droits et le niveau de vie de la masse de la population ?
Les syndicats constituent la première ligne de défense des salariés. Sans organisation, les travailleurs ne peuvent rien contre les capitalistes. Mais encore faut-il que les syndicats – à tous les niveaux, et particulièrement au niveau national – aient une politique et une stratégie à la hauteur de la situation. Dans le contexte actuel, le dirigeant syndical qui rejette la perspective de violer la propriété capitaliste, sous prétexte de « ne pas faire de politique », ne pourra pas empêcher les fermetures, les délocalisations et les suppressions d’emplois. Le syndicalisme qui s’incline devant la propriété capitaliste se condamne à l’impuissance.
Cela ne veut pas dire que, dans certaines circonstances, quand une lutte est menée vigoureusement, certaines concessions ne seront pas faites. Les grèves aux Antilles sont là pour le prouver. Mais dans le meilleur des cas, si on laisse les banques et les entreprises entre les mains des capitalistes, ce qui est gagné aujourd’hui sera perdu ou menacé demain.
Les capitalistes sont incapables de faire avancer la société. Ils détruisent l’industrie, démantèlent les services publics, imposent la régression dans tous les domaines. Ils constituent une classe parasitaire, dont les intérêts sont directement opposés à ceux de la vaste majorité de la population. Des millions de travailleurs et de jeunes sont en train de prendre conscience de cette réalité. Leur humeur a changé, sous l’impact de la crise. Des sondages indiquaient que près de 80% de la population était favorable aux grèves, dans les Antilles, ainsi qu’aux mobilisations du 29 janvier et du 19 mars. Si l’on fait abstraction des capitalistes et des milieux bourgeois, cela représente à peu près tout le monde. Certes, entre se sentir solidaire d’un mouvement et y participer, il y a un cap à franchir. Mais c’est précisément là qu’entrent en jeu la qualité des dirigeants du mouvement, la nature de leur programme et les formes d’action qu’ils défendent.
Actuellement, la modération des directions syndicales constitue l’atout principal de Sarkozy et du MEDEF. Tant que les syndicats se contentent de demander des « consultations » et à être pris en compte comme véritables « partenaires », ils ne peuvent offrir aucune perspective de lutte sérieuse contre la politique réactionnaire des capitalistes. Il faut rompre toute négociation avec le gouvernement sur la base des « réformes » en cours. Cette recherche de dialogue avec nos ennemis tend à paralyser le mouvement. Il faut lancer une campagne d’explications et de mobilisation pour préparer une grève générale illimitée dans tous les secteurs de l’économie. Ce n’est que de cette façon que les acquis du passé peuvent être sérieusement défendus. La grève devrait s’accompagner d’occupations d’entreprises. Il faut s’emparer des lieux de travail, non pas pour les rendre ensuite aux patrons, mais comme le premier pas vers l’expropriation des capitalistes et la mise en place d’un système de contrôle et de gestion démocratique de l’économie par les travailleurs eux-mêmes.
Il faut s’attaquer à la source du problème – c’est-à-dire à la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et de la distribution. Pour financer correctement les écoles, la santé publique, les transports et l’ensemble des services publics, pour fournir un logement correct à tous, pour en finir avec l’exploitation et la pauvreté, il est nécessaire de s’emparer des moyens de production et de les soumettre à une planification et une gestion démocratiques dans l’intérêt de l’ensemble de la société. Telle est l’essence du projet communiste. De nombreux syndicalistes trouveront sans doute ce programme trop « extrême » ou peu réaliste, dans un premier temps. Mais à terme, par leur expérience collective, ils parviendront à la conclusion que c’est la seule politique réaliste face à la gravité de la récession et à la rapacité sans bornes des capitalistes.
La Riposte