Légalement, une fois par an, l’employeur et les organisations syndicales doivent se réunir lors de Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) pour aborder la question des rémunérations au sein de l’entreprise – entre autres, car l’égalité homme/femme et la formation sont également supposées être discutées.
Au terme de la négociation, il y a plusieurs issues possibles. Il peut y avoir une Augmentation Générale (AG) : la même augmentation est dans ce cas accordée à tous les salariés, de l’ouvrier au cadre, et tout au moins le même pourcentage sur la base du salaire de chaque salarié. Deuxième possibilité : un « mix » AG/Augmentation Individuelle (AI). Cela signifie une part fixe pour tous et une part variable d’un employé sur l’autre, proportionnelle au salaire ou à la discrétion de l’employeur. Troisième option : une AI simple. Enfin, à défaut de « compromis », la négociation peut s’arrêter sur la dernière proposition patronale, ce qui doit alors être notifié dans un procès verbal de désaccord envoyé à l’inspection du travail.
Ceci dit, depuis quelques années, les employeurs ont tendance à privilégier les primes de participation ou d’intéressement. Ces primes ont l’avantage non négligeable, pour l’employeur, d’être exonérées de cotisations patronales.
Il faut bien distinguer la participation de l’intéressement. La participation est obligatoire, sur la base d’un calcul légal. L’employeur ne peut s’y soustraire. Elle peut être versée de manière équitable entre les employés, ou bien proportionnellement aux salaires. L’intéressement, lui, fait l’objet d’une négociation entre le patron et le syndicat. L’employé peut débloquer la somme à tout moment, mais avec de fortes pénalités pécuniaires (CSG, RDS, etc.), alors qu’il sera exonéré de ces prélèvements s’il bloque l’argent 5 ans sur un Plan d’Epargne Entreprise ou Groupe (PEE ou PEG). Or, les bas salaires ne peuvent pas se permettre de « bloquer » l’argent sur ces comptes.
Toujours concernant l’intéressement, les critères et objectifs à atteindre, pour toucher le maximum défini dans un accord, peuvent être extrêmement vicieux. Prenons le cas d’une entreprise industrielle du Bas-Rhin où l’un des critères retenu est le chiffre d’affaire, avec un objectif de progression de 10% par rapport à l’année précédente, et avec un « plancher mini » et un « plafond maxi » suivant les résultats. L’accord prévoit que le salarié touchera 3,5% de son salaire annuel brut si l’objectif est atteint. Mais il y a d’autres critères que le chiffre d’affaire : l’OTD (« On Time Delivery » : livraison à temps), ou encore le « FFR », à savoir le nombre de pièces retournées par le client pour des « défauts de production… ». A chaque absence pour maladie, grève, congé sans solde ou injustifié, c’est 1/360e de la prime qui est retirée au salarié.
En outre, l’accord prévoit que les primes supplantent et annulent toutes les autres primes – vacances, Noël, etc., – sur lesquelles l’employeur verse des cotisations ! Cela représente un manque à gagner pour les salariés, car ces primes sont souvent inférieures aux primes « traditionnelles ». En effet, les objectifs à atteindre sont volontairement très élevés. Les objectifs en sont revus tous les ans, et les critères tous les 3 ans.
Enfin, les grands groupes cherchent à plafonner la participation et l’intéressement en fixant un maximum de X% de la masse salariale sur le cumul des deux primes. Par exemple, si le plafond est de 9% et que la participation est de 6%, alors l’intéressement ne pourra jamais excéder 3%, et ce même si tous les objectifs sont atteints. De même, si la participation est de 9%, alors il n’y aura pas d’intéressement.
Ce système est d’autant plus pervers qu’il repose sur une logique d’individualisation des primes. C’est un mode de rémunération qui va de pair avec les nouvelles formes d’organisations du travail, telles que le « Lean Manufacturing » (Voir le n°32 de La Riposte). L’objectif est d’affaiblir la solidarité entre salariés en les mettant en compétition au détriment de l’action collective – le tout sous l’œil amusé du patronat.
La généralisation du système de primes a des effets extrêmement pervers sur les conditions de travail comme sur l’évolution des salaires. Or, force est de reconnaître que les organisations syndicales ont souvent « mordu à l’hameçon », en signant des accords qui, au final, se sont retournés contre le pouvoir d’achat réel des salariés. Les primes sont souvent un prétexte, en NAO, pour ne pas augmenter les salaires. Il est grand temps d’en finir avec cette situation, et de mobiliser les travailleurs pour de véritables augmentations de salaire.
Julien Gorrand (CGT 67)