Le lundi 5 novembre dernier, la campagne pour la réforme de la Constitution vénézuélienne est montée d’un cran : le général à la retraite Raúl Baduel (photo) a appelé à voter « non » lors du référendum qui doit se tenir le 2 décembre prochain. Baduel était, il y a peu, un proche collaborateur de Chavez, et lui est resté fidèle lors du coup d’Etat d’avril 2002. Cependant, en juillet de cette année, il a démissionné de son poste de Ministre de la Défense et abandonné toute responsabilité au sein de l’armée. Son appel à rejeter la réforme constitutionnelle fait partie d’une campagne concertée, de la part de la classe dirigeante vénézuélienne.
Les amendements à la Constitution de 1999 ont été annoncés par Chavez au lendemain de sa victoire électorale, en décembre 2006. L’objectif affiché est de mettre la Constitution en conformité avec « le socialisme du XXIe siècle. » Ces amendements ont été largement discutés, dans le pays, puis approuvés – après modifications et rajouts – par l’Assemblée Nationale, le 2 novembre.
Parmi les amendements les plus importants, il y a ceux qui ont trait à la nouvelle structure du pouvoir. Une légalité juridique est reconnue aux Pouvoirs Communaux, ce qui est une tentative d’en finir avec les structures actuelles de l’Etat capitaliste. Dans le domaine économique, l’opposition critique vivement une série d’articles dont elle estime qu’ils remettent en cause le « droit à la propriété ».
Bien qu’en réalité la portée de ces amendements soit limitée, ils sont devenus, dans le contexte révolutionnaire vénézuélien, l’axe d’un nouvel affrontement entre les classes – c’est-à-dire entre l’oligarchie et l’impérialisme d’un côté, et, de l’autre, la grande majorité des travailleurs et des paysans.
La classe dirigeante comprend parfaitement qu’indépendamment du contenu de la réforme constitutionnelle – qui est d’ailleurs très progressiste, avec notamment la journée de 6 heures et la semaine de 36 heures – , elle est perçue par les masses comme un pas en avant vers le socialisme. Et c’est la raison pour laquelle la réaction, une fois de plus, essaye de mobiliser toutes ses forces contre cette réforme.
Ces deux dernières semaines, l’opposition a organisé une série de petites manifestations d’étudiants, à Caracas, qui ont donné lieu à de violents affrontements avec la police. De toute évidence, il y a des éléments fascistes, dans ces manifestations, qui recherchent l’affrontement dans le but de faire apparaître le gouvernement de Chavez comme dictatorial et répressif.
Dans le même temps, des appels à la grève des transports publics ont été lancés par l’opposition, la Conférence Episcopale a fait une déclaration incendiaire contre la réforme constitutionnelle, des articles de presse en appellent à une intervention militaire pour empêcher la tenue du référendum – et ainsi de suite. Soit dit en passant, cela confirme ce que nous disions au sujet de l’opposition, au lendemain des élections de décembre 2006. A l’époque, certains expliquaient qu’on avait désormais une « opposition démocratique », au Venezuela, puisque Rosales et ses partisans avaient reconnu leur défaite électorale. Nous répondions qu’il n’en était rien. Ce n’est qu’une question d’opportunité. Au moment des élections de décembre 2006, l’opposition n’avait pas les forces nécessaires – et les points de soutien, au sein de l’armée – pour lancer un nouveau coup d’Etat. Et l’action des masses dans la rue les a obligés à reconnaître le résultat des élections.
A présent, la question d’un coup d’Etat est remise à l’ordre du jour. Le 2 novembre, dans sa rubrique d’El Nacional, Pablo Medina, un dirigeant de l’opposition qui a participé au coup d’Etat de 2002, a lancé un appel : « Messieurs des Forces Armées, renversons la réforme [constitutionnelle] ».
Comme en avril 2002 et lors du lock-out de décembre 2002, les dirigeants de Fedecaramas etConsecomercio – deux grandes organisations patronales – sont apparus à la télévision pour appeler le peuple à s’opposer à la réforme et au référendum.
Ceci dit, l’opposition n’est pas en position de force. Les manifestations étudiantes de ces derniers jours ont été violentes, mais petites. Le rapport de force reste largement favorable à la révolution, comme l’ont montré les deux manifestations du week-end dernier. Celle du samedi 3 novembre, organisée par l’opposition, n’a réuni que quelques milliers de personnes. Celle du lendemain, à l’appel de Chavez, a vu une nouvelle fois des centaines de milliers de personnes remplir toute l’avenue Bolivar et ses rues adjacentes.
Lors du meeting clôturant la manifestation de dimanche, Chavez a fait un discours très militant dans lequel il a demandé que la campagne référendaire soit organisée par la base, à travers les « Bataillons Socialistes », qui sont les unités de base du nouveau Parti Socialiste Unifié. De fait, la mobilisation du dimanche 4 novembre a été organisée par la base du mouvement, plutôt que par les appareils des partis bolivariens.
La radicalisation de la révolution bolivarienne, dans la foulée des élections de décembre dernier, a eu pour effet de pousser les sections les plus droitières de la direction bolivarienne dans le camp de l’opposition. « Podemos », un parti « social-démocrate » qui, jusqu’à récemment, faisait partie de la coalition gouvernementale, a désormais officiellement rejoint l’opposition. De tels développements sont d’ailleurs bienvenus, car ils aident à clarifier la situation.
C’est sur cette toile de fond qu’est intervenue la déclaration de Baduel. Comme nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises, la situation au sein des forces armées est loin d’être stable et sous contrôle. L’armée reste, fondamentalement, une armée capitaliste, et si elle n’est pas replacée par le « peuple en armes », elle finira par être utilisée contre les masses révolutionnaires.
Il y a quelques mois, nous écrivions à ce sujet : « Il est clair que la plupart des officiers les plus réactionnaires se sont purgés d’eux-mêmes en participant au coup d’Etat d’avril 2002 puis, en décembre de la même année, lorsqu’ils se sont déclarés en “rébellion”, place Altamira. Parmi ceux qui sont restés, la majorité sont sans doute loyaux à Chavez. Mais les raisons de cette loyauté sont variables. Certains ne sont loyaux que dans la mesure où Chavez représente le gouvernement officiel du moment ; d’autres ne sont loyaux que parce qu’ils profitent de leur position au sein de l’armée pour se livrer à toutes sortes d’”affaires” juteuses (légales ou illégales). Nombre d’entre eux sont sans doute hostiles à tous les discours sur le socialisme. Il est certain que si la révolution prenait la voie de nationaliser les moyens de production et de détruire l’appareil d’Etat capitaliste, nombre d’entre eux passeraient dans le camp de la réaction. »
Lors du discours que Baudel a prononcé en démissionnant de son poste de Ministre de la Défense, en juillet dernier, il était déjà évident qu’il n’était pas d’accord avec l’évolution de la situation. Tous les discours sur le socialisme le rendaient très nerveux. Il déclarait : « L’abolition de la propriété et la socialisation brutale des moyens de production ont toujours eu un effet négatif sur la production de marchandises et de services, et provoquent un mécontentement généralisé de la population. »
Telles sont les idées des réformistes, au sein du mouvement bolivarien : oui au « socialisme du XXIe siècle », mais à condition que cela signifie, non le véritable socialisme, mais un régime « social-démocrate ». Il est intéressant de noter que Baduel avait préfacé le livre d’Heinz Dietrich sur « le socialisme du XXIe siècle », et s’était beaucoup impliqué dans la publicité de ce livre, lors de sa sortie au Venezuela. Les idées de Dietrich – qui, en résumé, propose de réaliser le « socialisme » sans toucher aux rapports de propriété – offrent une couverture « théorique » aux dirigeants réformistes du mouvement bolivarien. Plus la révolution se radicalise, plus ces derniers révèlent leur vraie nature d’agents de la contre-révolution.
Lors de la conférence de presse au cours de laquelle il a lu sa déclaration – et à laquelle seuls les médias de l’opposition ont été invités –, Baduel a utilisé les mêmes formules que Pablo Medina et d’autres dirigeants de l’opposition. Il a décrit la réforme constitutionnelle comme un « coup d’Etat », notamment parce que « sous prétexte de distribuer des richesses au peuple, l’Exécutif élimine la propriété privée ». Il a également dit qu’on n’était pas face à des réformes mineures, mais à une « transformation de l’Etat et à un modèle de société complètement nouveau. »
Dans ce qui sonnait comme un appel à se soulever contre la révolution vénézuélienne, il a ajouté que la réforme constitutionnelle devrait faire l’objet d’un « pacte social reposant sur un large consensus » – faute de quoi une « large majorité ne l’accepterait pas et chercherait toujours à la changer, y compris de façon violente. »
Il a fini sa déclaration en demandant de « ne pas sous-estimer les aptitudes des militaires vénézuéliens à penser et à analyser », ce qui est un appel transparent à la mobilisation de l’armée contre la réforme et le référendum.
Comme les fois précédentes, la classe dirigeante et l’impérialisme cherchent à évaluer les forces sur lesquelles ils peuvent compter. Ils essayent d’abord de discréditer le référendum et d’en empêcher la tenue. Mais au final, ils seront peut-être obligés d’y participer.
Quoiqu’il en soit, la révolution bolivarienne doit réagir à ces provocations contre-révolutionnaires en passant à l’offensive. Comme cela a été démontré à de nombreuses reprises, le rapport de force est énormément favorable à la révolution. Mais cette force doit être mise en action d’une façon organisée. Le référendum du 2 décembre ne doit pas être simplement considéré comme une affaire électorale. Il faut une mobilisation révolutionnaire de grande ampleur, non seulement pour gagner le référendum, mais aussi pour mettre en pratique les mesures que contient la réforme proposée.
Toute entreprise qui participe au sabotage de l’économie, en particulier dans les transports et la distribution alimentaire, devrait être immédiatement occupée par les travailleurs et expropriée par le gouvernement, en utilisant les lois qui existent en la matière. Une sérieuse campagne d’agitation politique doit être engagée, au sein de l’armée, où les soldats et les officiers révolutionnaires les plus fiables doivent constituer des « Bataillons Socialistes ». Tout cela devrait s’accompagner de la constitution d’unités de la garde territoriale dans toutes les usines et tous les quartiers ouvriers, pour que les travailleurs y reçoivent une formation et des équipements militaires.
Ces mesures devraient être considérées comme un premier pas vers l’expropriation des principaux leviers de l’économie que la classe dirigeante contrôle toujours et qu’elle utilise contre la volonté démocratique de la majorité. L’appareil productif doit être placé sous contrôle ouvrier et administré conformément aux intérêts de cette majorité. En même temps, les structures du vieil Etat capitaliste doivent être brisées et remplacées par un réseau national et centralisé de Conseils communaux et de Conseils d’entreprise dont les représentants doivent être élus et révocables à tout moment.
Pour un « oui » massif au référendum – et pour un pas décisif vers le socialisme !
Jorge Martin