Le capitalisme démontre chaque jour son incapacité à répondre aux besoins de la population, mais aussi son incompatibilité avec les conquêtes sociales du passé. Celles-ci sont constamment attaquées et détruites au nom de la soif de profit de l’infime minorité de la population qui possède les banques et les grands groupes industriels.
Que ce soit dans le domaine de l’emploi, des salaires, des conditions de travail, du logement, de la santé, de l’éducation, des retraites, des services publics ou des droits des chômeurs, la société française régresse. Elle est constamment tirée vers le bas par les mécanismes infernaux de l’économie de marché, par l’avarice des capitalistes et par l’acharnement de leurs représentants politiques.
Officiellement, cinq millions de personnes vivent dans la pauvreté. Face à la discrimination sociale et raciale dont elle est victime, une fraction grandissante de la population est au bord de la révolte. Les émeutes de novembre dernier en étaient une expression. Des millions de salariés, de jeunes et de retraités se sont mobilisés contre les innombrables injustices du capitalisme, que ce soit par des manifestations, des grèves, des pétitions ou d’autres formes de protestations. Compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouve le système, des confrontations d’une envergure plus grande encore auront lieu dans les mois et les années à venir.
Socialisme et réformisme
Dans ces conditions, nous estimons que le devoir du mouvement communiste n’est pas simplement de dénoncer le capitalisme, mais aussi de proposer une alternative sérieuse à ce système néfaste. Certes, nous devons soutenir activement toutes les luttes pour défendre les intérêts des travailleurs et de leur famille. Mais nous devons également leur expliquer qu’il ne sera pas possible d’en finir avec la régression sociale tant que les capitalistes conserveront la maîtrise des banques et des moyens de production. La Riposte fait de la nécessité de mettre fin au pouvoir économique des capitalistes l’axe central de son programme. Elle revendique la nationalisation – ou « socialisation », si l’on préfère – de l’ensemble du secteur bancaire, des compagnies d’assurance, des grandes entreprises de l’industrie, de l’agroalimentaire, des services et de la distribution.
Le socialisme se fixe pour objectif de remplacer les forces aveugles de la concurrence et de l’exploitation capitaliste par une planification rationnelle de l’économie. Par ailleurs, n’en déplaise à ce qui reste des apologues du stalinisme, le socialisme est inconcevable sans la démocratie. Pour que l’ensemble de l’activité économique du pays soit tourné vers la satisfaction des besoins de la population, elle doit être soumise au contrôle et à la gestion démocratique des travailleurs, à tous les niveaux. Il en va de même pour l’Etat et l’administration nationale.
Les dirigeants actuels du Parti Socialiste rejettent catégoriquement ce programme. A en juger non seulement par leurs écrits et leurs discours, mais surtout par la politique qu’ils ont menée lorsqu’ils étaient au pouvoir, ils considèrent la soumission de l’économie à la loi du profit et l’exploitation d’une classe par une autre comme faisant partie de l’ordre naturel et définitif des choses. Quant aux dirigeants du PCF, ils ne font aucune proposition susceptible de réduire de manière significative le pouvoir des capitalistes, sans parler d’y mettre fin. Ils se bornent à des mesures tout à fait superficielles : des crédits moins chers et autres « bonus » pour les capitalistes qui embauchent, des pénalités pour ceux qui licencient, des taxes sur les profits et les opérations spéculatives – et ainsi de suite.
Les idées du socialisme n’ont rien d’utopistes. En fait, les véritables utopistes sont ceux qui imaginent qu’il est possible d’en finir avec le chômage, la pauvreté, la destruction de l’environnement et le militarisme sans mettre fin au système qui en est la cause. Ils se plaignent des symptômes, mais refusent de traiter la maladie. C’est justement l’absence d’un programme réellement socialiste qui explique l’échec des précédents gouvernements de gauche. Cela explique également l’intérêt que portent de nombreux communistes aux idées marxistes défendues par La Riposte.
Le fait que les partisans du capitalisme cherchent à justifier ce système est dans l’ordre des choses. Mais leurs arguments ont d’autant plus d’impact sur la conscience des travailleurs et des jeunes que les dirigeants socialistes et communistes n’y répondent pas – quand ils ne les reprennent pas à leur compte.
Le marché « libre » ?
La propagande capitaliste oppose le « libre » marché à la planification « dirigiste ». Et pourtant, dès lors qu’il s’agit d’augmenter leurs profits, les capitalistes ne sont ni contre la planification, ni contre le dirigisme. Dans n’importe quelle entreprise, l’activité est planifiée, dirigée et contrôlée, parfois jusque dans les moindres détails, dans le but produire le plus possible dans le moins de temps possible, avec le moins de salariés et au moindre coût possible. Les différentes opérations sont coordonnées de façon à éliminer tous les « temps morts ». Ici, pas de démocratie ! Le marché est peut-être « libre », mais le salarié ne l’est certainement pas. Les uns commandent, les autres exécutent, et l’employé qui n’agit pas conformément à cette « planification » capitaliste risque d’être promptement « dirigé » vers la porte !
Karl Marx a mis en évidence cette contradiction, dans l’économie capitaliste, entre la planification qui règne dans le cadre d’une seule entreprise et l’anarchie de l’économie prise dans son ensemble. L’économie capitaliste s’apparente à un ensemble de navires de guerre, dont le fonctionnement de chacun est planifié à outrance, mais dont tous cherchent à infliger un maximum de dégâts aux autres, et si possible de les couler. Dans cette impitoyable guerre économique, les travailleurs sont les principales victimes. A l’inverse, la planification socialiste aura pour objectif de mettre fin aux hostilités, de coordonner et planifier l’activité à l’intérieur d’un secteur donné de l’économie, comme entre les différents secteurs. Les commandants rivaux n’étant plus aux commandes, les navires ne se feront plus la guerre. Au contraire, leur conduite sera consciemment et démocratiquement coordonnée, comme les différents éléments d’une seule et même flotte, dans l’intérêt de tous.
Ceux qui prétendent que l’économie ne pourrait pas fonctionner sans les capitalistes ignorent – ou feignent d’ignorer – que le salariat constitue 86% de la population active, et qu’il assure d’ores et déjà pratiquement toutes les fonctions essentielles, non seulement de la production proprement dite, mais aussi de tous les services, des transports, de la communication, de la distribution et de l’administration. Sans les travailleurs, rien ne peut se faire. Ce sont eux qui font tourner l’économie et l’ensemble de l’organisme social. En fin de compte, tout en étant une classe exploitée de la société, ils sont la société. Collectivement, ils pourraient et devraient en être les maîtres.
On entend souvent que le travailleur apporte son travail, le capitaliste son capital, et que l’économie a besoin de l’un comme de l’autre. Mais d’où vient le capital ? C’est le fruit du travail des salariés. Comme l’expliquait Marx, le profit n’est que le travail impayé des travailleurs. C’est la partie de la valeur créée par le travail que le capitaliste ne restitue pas au travailleur. Si l’on fait abstraction de tous les aspects complètement parasitaires, destructeurs et abjectes de l’activité des capitalistes, on ne peut leur attribuer qu’une seule fonction économiquement « utile » ou nécessaire : ils réinjectent dans le processus économique une partie des profits obtenus par l’exploitation des salariés. Cet investissement est déterminé par le profit que les capitalistes en attendent en retour. Le capitaliste ne songe à répondre à la demande d’un produit ou d’un service donné que dans la mesure où il juge que cela lui sera profitable.
Pour le capitaliste du secteur immobilier, par exemple, la pénurie des logements est une véritable aubaine. Elle fait grimper les loyers, les prix, et favorise toutes sortes d’opérations spéculatives particulièrement juteuses. C’est aussi une aubaine pour les banques, qui spéculent dans ce même secteur et, en même temps, engrangent les intérêts sur les prêts immobiliers. Sous le socialisme, à l’inverse, les investissements et les priorités seront déterminés, non par le profit privé, mais par une évaluation démocratique et collective des besoins. Au lieu de passer dans les circuits de la spéculation financière, les gigantesques ressources générées par le travail pourront enfin servir à améliorer la qualité de vie de tous, être investies dans la santé, dans l’éducation ou la protection de l’environnement. Il sera alors possible d’en finir, une fois pour toutes, avec l’injustice sociale, la misère, les conditions de vie précaires et humiliantes, comme avec toutes les autres manifestations de l’exploitation capitaliste.
Socialisme et technologie
Le niveau de développement des moyens de production et de la technologie moderne constitue la base matérielle de la future société socialiste. Cette base n’existait ni dans la Russie des Tsars, ni dans la France de la Commune, en 1871. Lénine, Trotsky et les autres dirigeants de la révolution de 1917 déclaraient franchement et ouvertement qu’il était totalement inconcevable de construire une société socialiste sur la base d’une économie aussi arriérée et dévastée que celle dont les soviets ont hérité, après le carnage de la première guerre mondiale. Ils plaçaient leurs espoirs dans la victoire de la révolution à l’étranger, surtout dans les pays les plus industrialisés. La succession de défaites subies par les révolutions qui se sont déroulées en Europe et en Chine, au cours de la décennie suivante, a mené à l’isolement de la révolution soviétique dans un pays sous-développé, et a créé les conditions objectives de sa dégénérescence bureaucratique.
La réalisation du socialisme dans un pays comme la France, surtout à notre époque, se ferait dans des conditions matérielles infiniment plus favorables. Le niveau de développement des moyens de production, avec la productivité du travail et l’écrasante prépondérance du salariat qui en résultent, signifie que l’appropriation sociale de ces moyens de production permettrait une amélioration rapide et importante du niveau de vie de la masse de la population, à commencer par les couches sociales les plus pauvres.
Après avoir tenu le pouvoir pendant dix semaines, entre mars et mai 1871, les travailleurs parisiens ont été impitoyablement massacrés pour avoir tenté d’organiser la société sur des bases nouvelles. Ils n’ont pas eu le temps de mener leurs aspirations à terme. Mais les Communards nous ont tout de même laissé un précieux héritage. Ils ont défini quatre règles essentielles pour éviter le bureaucratisme. Premièrement, tous les représentants des travailleurs doivent être élus et révocables à tout instant. Deuxièmement, aucun représentant ne doit toucher un salaire supérieur à celui d’un travailleur qualifié. Troisièmement, les postes dirigeants doivent être occupés à tour de rôle, de façon à éviter la cristallisation d’une caste officielle. Enfin, aucune force armée séparée du peuple et contre le peuple ne doit être autorisée : personne ne peut mieux défendre le peuple que le « peuple en armes ».
Ces principes généraux gardent, aujourd’hui, toute leur validité. C’est dans ce même esprit que nous devrons organiser la démocratie socialiste future, à tous les échelons de l’économie, de l’administration et de la société civile en général.
Certains écologistes, anarchistes et autres adeptes de la « décroissance » considèrent la technologie et la « modernité » comme la cause de tous nos malheurs – au point de préconiser un retour à l’ère pré-industrielle. Or, la technologie, c’est-à-dire l’augmentation de la productivité du travail, constitue en réalité la clé de l’émancipation de l’espèce humaine. Entre les mains de la collectivité, elle permettra d’éliminer la lutte pour le droit de vivre (le « marché du travail ») et de mettre progressivement en place des conditions dans lesquelles chacun apportera à la collectivité « selon ses capacités » et recevra d’elle « selon ses besoins ».
Le socialisme se servira de la technologie à un degré infiniment plus élevé que le capitalisme, afin de libérer le plus possible l’humanité du besoin de travailler, tout en assurant les conditions de son élévation culturelle.
Le capitaliste s’intéresse à la technologie parce qu’elle lui permet d’extraire plus de profit de chaque heure de travail. Elle augmente la part des richesses créées par le travail par rapport à ce qui est restitué au travailleur sous forme de salaire. Une nouvelle machine permet au capitaliste de jeter une partie des salariés à la rue, et d’extraire autant ou plus de profit du travail de ceux qui restent. Alors que le capitalisme condamne des millions de personnes à l’inactivité, il oblige les travailleurs en activité à être toujours plus « productifs », sous peine d’aller rejoindre la masse des chômeurs.
Sous le socialisme, l’augmentation de la productivité du travail permettra de réduire le temps de travail de tous. En ce sens, les travailleurs doivent s’émanciper du capitalisme pour, dans la mesure du possible, cesser d’être des travailleurs, et pouvoir s’intéresser à la science, aux arts, à la société et au monde qui les entourent. Ils auront besoin de temps pour réfléchir, étudier et agir. « Avant de s’intéresser à la philosophie, l’homme doit d’abord pouvoir manger », disait Aristote. Le socialisme libérera l’énorme potentiel intellectuel et culturel de la masse de la population – potentiel que le capitalisme bride, étouffe, écrase. Combien de grands scientifiques et de grands artistes en puissance sont condamnés au chômage ou triment dans la précarité pour s’assurer un minimum vital ? Ce n’est que par le socialisme qu’une culture véritablement humaine pourra émerger.
La suppression du capitalisme dépend de la prise de conscience de sa nécessité par la masse de la population. C’est un processus qui est déjà en cours, comme l’indique la courbe ascendante de la lutte des classes depuis plusieurs années. Ceux qui participent aux manifestations et aux mouvements de grève apprennent beaucoup. Ce n’est pas pour rien qu’une grève véritablement générale, comme celle de mai 1968, créé une situation pré-révolutionnaire. Dans une grève de cette ampleur – qui se produira tôt ou tard, en France – cet apprentissage prend des proportions de masse et pose la question, de façon concrète et immédiate, de qui dirige la société.
C’est précisément cette question qui, dans les années à venir, sera placée à l’ordre du jour en France et en Europe, exactement comme elle est à l’ordre du jour, dès à présent, au Venezuela et en Bolivie. Cependant, comme à l’époque de la révolution russe, la construction d’une société socialiste dans un seul pays est impossible. C’est pour cette raison que le socialisme et l’internationalisme sont totalement inséparables. Tous les pays européens s’enlisent dans l’impasse capitaliste. Partout, le chômage de masse et la précarité s’aggravent. Les privatisations, les attaques incessantes contre les droits et le niveau de vie des travailleurs font des ravages. Dans ces conditions, le renversement du capitalisme, en France, aurait des répercussions internationales colossales. Il provoquerait, bien évidemment, l’hostilité implacable des capitalistes de tous les pays. Mais une France socialiste susciterait en même temps un énorme enthousiasme et un puissant mouvement de solidarité de la part des travailleurs et des jeunes d’Europe et du monde entier. L’élimination du capitalisme en France ne serait donc pas un événement isolé, mais l’acte d’ouverture d’une longue série de bouleversements révolutionnaires à l’échelle mondiale.
Greg Oxley (PCF Paris 10e)