Après les attaques menées à pas de charge contre les retraites, la sécurité sociale et l’emploi, les 35 heures ont été mises en pièce par le gouvernement. Ainsi se poursuit le démantèlement du code du travail et de nos acquis sociaux. Le MEDEF est comblé, et ne s’en cache pas.
La faute aux 35 heures
En 1981, le programme de Mitterrand comprenait la réduction progressive du temps de travail hebdomadaire, qui devait passer de 40 à 35 heures. Face au chantage du patronat, qui menaçait de procéder à des licenciements massifs, le gouvernement s’est arrêté à 39 heures. Cependant, le mouvement ouvrier français n’a pas pour autant abandonné la revendication des 35 heures. Elle a ressurgi lors de la grande grève de décembre 1995, et fut à nouveau inscrite dans les programmes du PS et du PCF à la veille de la victoire de la gauche, en 1997.
Aujourd’hui, pour justifier la remise en cause des 35 heures, la droite et le patronat les accusent d’être la cause de tous les maux, un peu comme, dans la philosophie scolastique, Dieu était la cause première de toute chose. Le Rapport Camdessus n’hésite pas à affirmer que la Réduction du Temps de Travail (RTT) est responsable de la stagnation économique de la France : « depuis vingt ans, la totalité de notre écart de croissance par rapport au Royaume-Uni et aux Etats-Unis correspond à la différence d’évolution des heures travaillées. » De même, le chômage, les délocalisations, la misère, la dégradation de la santé publique : tout est mis sur le dos de la RTT.
On pourrait rétorquer que le système capitaliste n’a pas attendu les gouvernements Mitterrand et Jospin pour produire de la misère et du chômage. Mais les affirmations du MEDEF sont d’autant plus hypocrites que les 35 heures ont fait l’objet d’« aménagements » dont le but était d’offrir de larges compensations au patronat. Des milliards ont été versés dans ses coffres pour l’« aider » à mettre en place la RTT. Ces subventions étaient assorties d’un appel – purement décoratif – à créer des emplois. Le patronat s’est bien gardé d’y répondre, ce qui fait que les salariés ont dû assumer la même charge de travail en moins de temps. Par ailleurs, la classe dirigeante a profité de la RTT pour mettre en place une flexibilisation du temps de travail, pour casser certaines conventions collectives et pour gêler l’évolution des salaires. Enfin, les 35 heures ayant été négociées entreprise par entreprise, les salariés ont obtenu des accords très inégaux selon l’implantation et la combativité des syndicats sur place.
Tout ceci explique qu’un certain nombre de salariés jugent sévèrement cette réforme. La droite l’exploite pour justifier l’abrogation de la RTT. Mais les travailleurs ne sont pas dupes. La droite veut conserver les aspects négatifs de la RTT, et notamment la flexibilité, tout en augmentant le temps de travail. Au contraire, nous devons lutter pour de véritables 35 heures, sans flexibilité et sans gel des salaires. Le temps de travail ainsi dégagé doit permettre une création massive d’emplois, conformément à ce qui était l’objectif originel de la réforme.
Travailler plus pour gagner plus ?
Les « assouplissements » successifs des 35 heures ont deux conséquences. D’une part, l’augmentation du contingent d’heures supplémentaires permet à l’employeur de mobiliser davantage la force de travail en fonction des variations de l’activité, de la conjoncture, du carnet de commandes, etc. Pour les salariés, cela signifie un accroissement de leur flexibilité. Leurs temps de travail et de repos seront toujours plus dictés par les aléas du marché et de l’infernale course au profit.
D’autre part, en ouvrant la possibilité de convertir les heures supplémentaires en rémunération, le gouvernement a porté le coup fatal aux RTT, les vidant complètement de leur substance. Le gouvernement s’exclame : « les salariés qui voudront gagner plus le pourront ! » Mais dans les faits, on sait bien que c’est l’employeur qui décidera, de même que c’est souvent lui qui décide quand les jours de RTT peuvent être pris. Qui croira que les salariés en contrat précaire vont opposer leur volonté individuelle à celle d’un patron qui dicte les emplois du temps ? Les employeurs disposent d’innombrables moyens de pression pour faire accepter aux salariés leur « temps choisi » : le harcèlement, les menaces de licenciements ou de déclassement, le chantage à la prime, etc.
Le discours du gouvernement est d’autant plus hypocrite que, dans un certain nombre d’entreprises, la direction a fait du chantage à la délocalisation dans le but d’augmenter le temps de travail sans augmenter les salaires. Les salariés de Bosch, Doux et Ronzat, entre autres, en ont fait l’amère expérience. Chirac a fait semblant de s’en émouvoir à la télévision – puis les choses ont continué leur cours. « Travailler plus pour le même salaire de misère » : telle est la véritable formule que la classe capitaliste voudrait imposer aux salariés de notre pays.
Cette contre-réforme donne également toute sa mesure aux promesses de Raffarin concernant la baisse du chômage. Car ce n’est pas en augmentant le temps de travail qu’on va libérer des postes pour les chômeurs ! Il est vrai que, dans ce domaine, le gouvernement ne craint pas le ridicule. Quatre mois à peine après avoir annoncé, en dépit du bon sens, une baisse de 10% du chômage en 2005, Raffarin a dû reconnaître que ce serait pour « plus tard ». Et pour cause : le chômage a augmenté de 0,7 % en janvier et de 0,5 % en février.
Cette fois-ci, cependant, ce n’est plus la faute aux 35 heures, mais plutôt « la faute aux prix du pétrole ». Ainsi, les travailleurs sont priés d’encaisser patiemment coup sur coup en attendant une baisse des prix du pétrole. Mais Raffarin ne peut pas les tromper indéfiniment. De plus en plus de gens comprendront que le fond du problème, ce n’est ni le pétrole, ni les RTT, mais la crise du système capitaliste lui-même, dont le pourrissement exclut toute perspective de progrès social pour l’écrasante majorité de la population.
Quelle riposte syndicale ?
L’accumulation de contre-réformes et la dégradation générale des conditions de vie de millions de gens a créé une situation de très fort mécontentement. De nombreuses grèves éclatent un peu partout dans le pays. La France est dans un état de grande fermentation sociale. La longue et profonde lutte des lycéens en est un symptôme évident, de même que la montée du « non » au projet de constitution européenne.
Cependant, force est de reconnaître que, face aux pressions du gouvernement et du patronat, le mouvement syndical manque de perspectives. Certes, la journée du 10 mars a contraint le gouvernement à s’engager sur une augmentation de 0,8% des salaires de la fonction publique pour 2005. Mais, d’une part, une telle augmentation ne représente qu’une petite partie du retard accumulé, dans l’évolution des salaires des fonctionnaires, au cours de ces dernières années. D’autre part, ce genre de « coup de pouce » ne représente pas grand-chose face à la dégradation générale de nos conditions de vie. Dans le privé, le MEDEF a immédiatement fait savoir qu’il n’était pas question de toucher à l’austérité salariale !
Seule une grande offensive syndicale peut faire reculer le gouvernement, ne fut-ce que temporairement. Si la mobilisation du 10 mars l’a fait trembler, c’est parce que, pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de la droite, cette journée d’action a rassemblé dans tout le pays des centaines de milliers de grévistes du privé et du public. Il faut désormais passer à l’étape suivante, à savoir une grève générale de 24 heures, bien préparée et s’efforçant de mobiliser tous ceux qui, bien que victimes des attaques de la droite, ne sont pas encore entrés dans la lutte.
Pierre Pillot, CGT