Le mardi 26 avril, la veille du départ de Condolezza Rice pour sa tournée en Amérique latine, un article extrêmement provocateur est paru dans le New York Times, sous le titre Les Etats-Unis songent à renforcer leur position vis-à-vis du Venezuela. Son auteur, Juan Forero, y cite différents « officiels américains », qui disent essentiellement que « l’administration Bush étudie les possibilités d’une approche plus dure, ce qui comprend un renforcement du financement des entreprises et des groupes politiques opposés à ce gouvernement de gauche. »
Dans son article, Forero prétend qu’« une force opérationnelle inter-agence, à Washington, a travaillé à l’élaboration d’une nouvelle approche, dont des responsables politiques américains de haut rang disent qu’elle consistera très probablement en une ligne plus dure. » L’article cite également, sous couvert d’anonymat, un officiel américain disant que « la conclusion vers laquelle tend toujours plus Washington est que des rapports réalistes et pragmatiques [entre les Etats-Unis et le Venezuela], où on peut être en désaccord sur certains points tout en faisant des progrès sur d’autres, ne semblent plus être d’actualité […] Nous avons tenté d’établir des rapports plus pragmatiques, mais évidemment, s’ils n’en veulent pas, on pourrait s’engager dans une approche plus conflictuelle. »
Toujours sous couvert d’anonymat, un « conseiller républicain de haut rang » à la Maison Blanche, qui travaille sur l’Amérique latine, explique : « Ce qu’il se passe, c’est qu’ils réalisent que la situation se détériore rapidement et va nécessiter une plus grande attention. […] L’actuelle politique du laisser-faire ne fonctionne pas. »
En réalité, le fait est que l’administration américaine a toujours eu une approche « dure » à l’égard du Venezuela. Les officiels américains de haut rang ont rencontré les leaders de l’opposition vénézuélienne dans les semaines et les jours précédant le coup d’Etat qui, le 11 avril 2002, a destitué Hugo Chavez pendant 48 heures. Il existe désormais des preuves solides du fait que la CIA était au courant de la préparation du coup d’Etat, et Washington fut la première capitale à reconnaître le gouvernement illégitime du putschiste Pédro Carmona.
L’administration Bush a financé les groupes d’opposition qui ont organisé le coup d’Etat de 2002. Elle a également financé le sabotage de l’industrie pétrolière, en décembre 2002 et janvier 2003, qui a coûté 10 milliards de dollars à l’économie nationale. Enfin, elle a financé la tentative de renverser Chavez au moyen d’un référendum révocatoire. Il est difficile d’imaginer comment l’approche de Washington à l’égard du gouvernement vénézuélien, qui a été démocratiquement élu, pourrait être plus « dure » – si ce n’est dans le cadre d’une intervention militaire directe.
Depuis le début de l’année 2005, le déluge d’accusations que les officiels américains formulent contre le gouvernement vénézuélien a clairement augmenté en volume et intensité. Les Etats-Unis ont activement tenté de convaincre l’Espagne, le Brésil et la Russie de ne plus vendre d’armes au Venezuela (après avoir eux-mêmes refusé de fournir des pièces de rechange pour la flotte vénézuélienne de F16), et ont accusé le Venezuela d’être « une force négative dans la région » (Condoleeza Rice). Le gouvernement et les médias américains se sont engagés dans une campagne plus agressive contre le Venezuela.
Le gouvernement démocratiquement élu d’Hugo Chavez a été accusé de tout : de tisser des liens avec la Corée du Nord, de fournir des armes à la guérilla colombienne, de financer le « subversif » MAS, en Bolivie, de former un « axe du mal » avec Cuba, de mener une course aux armements en Amérique latine, et même d’abriter des terroristes d’Al-Qaida. Un récent article du National Review, paru le 11 avril, exactement trois ans après le coup d’Etat, avait pour titre : Fidel Castro et Hugo Chavez constituent un axe du mal. Dans cet article extrêmement agressif, Otto Reich, ancien secrétaire d’Etat adjoint pour l’hémisphère occidental, en appelle ouvertement à une politique de « confrontation » avec « l’axe de subversion émergeant ».
Il n’y a pas le moindre élément en faveur de ces accusations, qui ne sont appuyées par aucun début de preuve. Elles ont juste pour but de créer une impression – le type d’impression qui peut être utilisée pour justifier un acte d’agression. Comme le disait il y a longtemps Josef Goebbels, si on répète suffisamment un mensonge, même le plus flagrant, il finit par être pris au sérieux. De même, le mensonge selon lequel Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive a servi de prétexte à l’invasion criminelle de l’Irak. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il s’agissait d’un mensonge. Mais à l’époque, il y avait suffisamment de personnes crédules pour que l’agression militaire puisse être présentée comme un acte d’auto-défense national. A présent, la même histoire se répète.
Le 30 mars, lorsqu’on lui a demandé s’il avait des détails à donner concernant les « carences du Venezuela dans la lutte contre le trafic de drogue », Adam Ereli, le porte-parole adjoint du département d’Etat, n’a rien trouvé de cohérent à dire. Il a simplement marmonné : « Pas vraiment. J’irai voir ce qu’on en a dit précédemment, mais, sans y réfléchir, je ne saurais vous donner de réponse détaillée. » Tel est le genre de « preuves » sur la base desquelles Washington prépare une agression armée contre le Venezuela.
Il est clair que tous ces articles et toutes ces déclarations ne sont pas le fruit du hasard. Cela fait partie d’une propagande organisée dont le but est non seulement d’isoler le Venezuela, mais également de préparer l’opinion publique américaine à des formes d’interventions plus directes contre la révolution bolivarienne. C’est le même genre de méthode qui, par le passé, avait été utilisé pour justifier l’intervention américaine contre la révolution cubaine, le gouvernement Arbenz au Guatemala, celui de Salvador Allende au Chili, et plus récemment au Nicaragua, au Salvador, à Grenade et Haïti. La presse soumise au gouvernement verse un torrent de mensonges et de calomnies dans le but de préparer l’opinion publique – puis la grosse artillerie passe à l’action. Dans certains milieux, on appelle cela la « liberté de la presse ».
Otto Reich connaît bien le sujet. Dans les années 80, il était à la tête de l’Office de la Diplomatie Publique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (OPD). Ce n’était rien d’autre qu’une agence de propagande, dont l’une des tâches consistait à coordonner le « placement » d’éditoriaux dans les journaux qui soutenaient ouvertement les Contras – les contre-révolutionnaires nicaraguayens – et attaquaient ceux qui critiquaient le soutien qu’apportait Washington à ces gangs de coupeurs de gorges.
Mais revenons-en à l’article de Juan Forero. Les seules « sources » qu’il donne pour appuyer ses réflexions sur la politique américaine vis-à-vis du Venezuela sont des « officiels anonymes ». Le lendemain de la parution de l’article, Washington a formulé un démenti de son contenu. Mais en fait, il s’agissait d’un « démenti » qui ne démentait rien du tout. Il disait : « ces affirmations ne reflètent en rien une décision, de la part des Etats-Unis, de changer de politique. »
Les performances journalistiques de Forero, s’agissant du Venezuela, sont pour le moins douteuses. Le lendemain du coup d’Etat d’avril 2002, il écrivait pour le New York Times un article dans lequel les mots « coup d’Etat » n’apparaissaient pas, et qui s’intitulait : Le chef du Venezuela forcé à la démission – un civil installé à sa place. On a affaire à un pantomime bien rodé qui fonctionne ainsi : Washington communique de fausses informations à l’un de ses journalistes préférés. Le matériel est publié, mais aucune source n’est citée. Une fois que la « nouvelle » est dans le domaine public et répercutée par les grandes agences de presse, le département d’Etat formule un « démenti » dont personne ne parle. Les dégâts sont déjà faits.
Il est clair que l’administration Bush est de plus en plus hostile à l’égard de la révolution bolivarienne, qui tient fermement tête à l’impérialisme américain. George Bush est frustré, car toutes les tentatives d’écraser la révolution ont échoué. De même, la stratégie visant à isoler le Venezuela des autres pays du continent latino-américain a échoué. De ce point de vue, la récente tournée de Rumsfeld dans la région n’a pas été un franc succès. Mais ces échecs ne signifient pas que Washington va abandonner son agressivité à l’égard du Venezuela. Au contraire, cela signifie que l’agression va monter en puissance et atteindre des proportions dangereuses si elle n’est pas bloquée par un mouvement de protestation massif.
Cette nouvelle campagne contre la révolution vénézuélienne représente une menace sérieuse, que le mouvement ouvrier international négligerait à ses dépens. Chaque fois qu’un gouvernement américain a adopté ce type de langage, c’était pour préparer une intervention militaire. Une telle intervention ne prend pas nécessairement la forme d’une invasion. Du fait de l’embourbement de l’armée américaine en Irak, cette option est, à ce stade, problématique. Mais les exemples du Chili et du Nicaragua indiquent qu’il existe d’autres options : une « guerre sale » d’actions terroristes et de subversion, l’assassinat du président Chavez, ou encore des provocations menant à une guerre avec la Colombie, que le Pentagone a déjà transformée en une base d’opérations militaires. Telles sont – entre autres – les armes à la disposition de Bush, Rumsfeld et Rice.
Le danger d’une intervention américaine se précise. La seule force qui peut faire obstacle à l’agression contre la révolution vénézuélienne est le mouvement ouvrier international, et en particulier la jeunesse et les travailleurs des Etats-Unis. Il est temps de sonner l’alarme ! Le Venezuela est en danger ! Il est urgent que les travailleurs, les syndicalistes, les jeunes et les étudiants, les intellectuels et les artistes, les noirs et les blancs, s’unissent pour organiser un mouvement de protestation tellement puissant que George Bush et la clique réactionnaire de la Maison Blanche seront obligés de se raviser.
N’attendons pas qu’il soit trop tard. Nous devons agir maintenant pour empêcher qu’un puissant Etat impérialiste n’agresse un pays sud-américain qui se bat pour ses droits les plus élémentaires : le droit à l’auto-détermination nationale, le droit de vivre en paix, le droit de déterminer son futur à l’abri des interférences étrangères et le droit de construire une société reposant sur les principes de la liberté, de la justice et de l’égalité.
La véritable raison pour laquelle les cercles les plus réactionnaires des Etats-Unis veulent écraser la révolution vénézuélienne, c’est qu’elle constitue un exemple pour les millions de pauvres et exploités de l’Amérique latine. En outre, c’est une voie que le peuple vénézuélien a choisi de façon démocratique. Chavez et sa politique ont été approuvés lors de 7 scrutins électoraux depuis l’élection présidentielle de 1998. C’est un exemple dangereux, non pour les citoyens ordinaires des Etats-Unis, pour les travailleurs et les pauvres – mais pour Wall Street, pour les banques, les grandes entreprises et les barons du pétrole, qui sont les véritables soutiens de George W. Bush.
Cette administration de droite, qui s’efforce de décrire le Venezuela comme un « danger pour la paix » parce qu’il achète des fusils à la Russie, dépense chaque année, en armements, la somme stupéfiante de 500 milliards de dollars. Et elle dépense au moins 6 milliards de dollars par mois dans l’occupation de l’Irak, tout en sabrant dans les dépenses publiques affectées aux retraites et au système de santé.
Agissons immédiatement ! Editez cet article, faites-le circuler le plus largement possible. Passez des résolutions de protestation dans vos sections syndicales, dans celles du Parti Communiste, du Parti Socialiste, dans vos associations, etc. Organisez des rassemblements et des réunions publiques en solidarité avec la révolution vénézuélienne. Contactez-nous et rejoignez notre lutte contre les intrigues et la politique criminelles des impérialistes.
Le 27 avril 2005
Jorge Martin et Alan Woods