Interview de John Peterson, rédacteur en chef du journal américain Socialist Appeal.
- John Peterson, Socialist Appeal
John Peterson : Malgré des
indices économiques plus ou moins bons, le fait est que la
croissance n’a pas bénéficié aux travailleurs
américains. La plupart d’entre eux ont même le
sentiment que la situation s’aggrave. 3 millions d’emplois
industriels ont été supprimés depuis 2000 —
soit 1 sur 6 en l’espace de 4 ans. Le taux d’utilisation
de la capacité industrielle est seulement de 77 %, et 80 %
de l’économie américaine repose désormais
sur les services. Il n’y a pas eu d’augmentation nette
en nombre d’emplois depuis le retour officiel de la croissance,
en novembre 2001. Rien que pour rester en phase avec la croissance
démographique, l’économie américaine doit
créer 150 000 emplois par mois. Or, en juin, 78 000 emplois
ont été créés, et seulement 32 000 en
juillet. Par ailleurs, les emplois qui ont été créés
sont à temps partiels, se trouvent surtout dans les secteurs
très faiblement syndiqués, et sont payés en moyenne
13% de moins que les emplois supprimés au cours de la récession.
La bipolarisation de la société a également
continué de s’aggraver. En 1982, le ratio entre la paie
d’un salarié et celle d’un PDG était de
1 pour 42. Aujourd’hui, le même ratio est de 1 pour 281
! Les phases de croissance précédentes ont apporté
en moyenne une augmentation des revenus de 61% pour les travailleurs
et de 26% pour les profits capitalistes. Mais avec la « croissance
» actuelle, les mêmes indices donnent 29% pour les salariés
contre 46 % pour les profits. Comme l’a dit le milliardaire
Warren Buffett, « si une guerre de classe se déroule
en ce moment aux Etats-Unis, c’est ma classe qui gagne ».
Les effets de tout cela sur la conscience des travailleurs américains
— à qui on avait promis le « rêve américain
», et qui se retrouvent confrontés au chômage et
à l’endettement massif — seront explosifs dans
les années à venir.
La Riposte : Que penses-tu de
la façon dont se déroule la guerre en Irak ?
John Peterson : La guerre en Irak
est l’illustration la plus claire des limites de l’impérialisme
américain. Malgré sa supériorité écrasante
dans le domaine des moyens de destruction, la plus grande puissance
militaire au monde ne peut pas soumettre une population entière
qui refuse l’occupation. L’idée de Rumsfeld, Cheney,
Wolfowitz et compagnie, selon laquelle ils pouvaient établir
une nouvelle Pax Américana, était une idée absurde.
Ils ne tenaient pas compte du rôle de la classe ouvrière,
aussi bien en Irak qu’ici, aux Etats-Unis. Ils n’ont pas
retenu la principale leçon de la guerre du Vienam, à
savoir qu’une guerre ne peut être menée qu’à
condition d’avoir le soutien de sa propre population. Pendant
la guerre du Vietnam, lorsque l’impérialisme américain
avait perdu ce soutien, il a été obligé de retirer
ses troupes.
Aux Etats-Unis, il y a un mécontentement croissant
au sujet de la guerre en Irak. Elle consomme des ressources humaines
et financières colossales, ce qui a de terribles conséquences.
La guerre coûte 1 milliard de dollars par semaine, et cet argent
est ponctionné sur ce qu’il reste des budgets de la sécurité
sociale, du système éducatif, des infrastructures, etc.
Les gens, aux Etats-Unis, font le lien entre la guerre en Irak et
les coupes budgétaires aux Etats-Unis. Mais dans l’ensemble,
à ce stade, ils ne veulent toujours pas admettre qu’il
s’agit d’un fardeau aussi énorme.
Jusqu’à récemment, ils pouvaient
se dire que même s’il n’y avait pas d’armes
de destruction massive en Irak, et donc pas de menace imminente pour
les Etats-Unis, on s’était tout au moins débarrassé
du terrible dictateur Saddam Hussein. Mais aux yeux de millions d’Américains,
le scandale du traitement des prisonniers d’Abu Ghraib a achevé
de réduire en poussière les prétendues justifications
de la guerre. Le conflit en Irak va durer longtemps. Il aura des conséquences
graves à terme. Les guerres — et leur impact sur la conscience
des travailleurs — ont souvent été à l’origine
de crises révolutionnaires. La guerre en Irak ne fera pas exception.
La Riposte : Il est possible
que Kerry gagne les prochaines élections. Quelle est sa position
sur la guerre en Irak ?
John Peterson : C’est vrai
que Kerry pourrait très bien gagner les élections. En
réalité, il devrait être normalement impossible
pour Bush de les gagner. Mais le fait est que rien n’est encore
sûr, à ce stade, parce que sur toutes les questions importantes,
le programme de Kerry est sensiblement le même que celui des
Républicains. En l’absence d’une véritable
alternative, beaucoup de gens vont soit s’abstenir, soit opteront
pour le président sortant. Ceci dit, le mécontentement
vis-à-vis de Bush et de sa politique est tel que le taux de
participation pourrait être plus élevé que d’habitude,
ce qui avantagerait Kerry.
Quel que soit le vainqueur, on aura un gouvernement
des riches. Le parti démocrate et le parti républicain
sont tous deux des partis du grand patronat, et, en tant que tels,
ils défendent tous deux les intérêts de la classe
capitaliste américaine. Ils peuvent sembler différents
dans le domaine du style politique, mais il ne faut pas s’y
tromper : ils ont fondamentalement le même programme sur toutes
les questions essentielles. Kerry a voté pour la guerre en
Irak et propose maintenant de la continuer — mais plus «
efficacement ». Il veut envoyer 40 000 soldats supplémentaires,
maintenir le niveau astronomique des dépenses militaires et
poursuivre la « guerre contre le terrorisme », qui est
en fait une guerre contre les travailleurs et la jeunesse aux Etats-Unis
et dans le monde.
La Riposte