Lénine disait que la politique est de l’économie concentrée. Les caprices de l’économie mondiale trouvent leur expression dans la psychologie de toutes les classes, à commencer par la classe dirigeante. L’humeur des porte-parole du Capital oscille entre l’optimisme le plus délirant et la plus profonde déprime. Ces changements d’humeurs sont en eux-mêmes une expression de l’instabilité générale du monde. En ce moment, la classe capitaliste et ses commentateurs économiques parlent avec optimisme d’un redressement imminent de l’économie mondiale. Il n’y a bien sûr aucun doute qu’à un moment, il y aura un certain redressement de l’économie. Il ne peut y avoir de « crise finale » du capitalisme. L’histoire montre que le capitalisme peut toujours se sortir de la plus profonde crise. Il ne disparaîtra pas de lui-même, mais devra être renversé par le mouvement conscient de la classe ouvrière.
Ceci dit, dans leurs déclarations optimistes, les capitalistes prennent pour une bonne part leurs rêves pour des réalités. Ils ne peuvent cacher le fait que tous les beaux rêves qu’ils faisaient, dans les années 90, sur l’élimination du cycle croissance/récession, se sont évaporés, ne leur laissant plus qu’une solide gueule de bois. A l’échelle mondiale, les forces productives ne s’accroissent pas, mais stagnent ou déclinent. La clé de toute reprise réelle consiste dans les profits. Or, la totalité des profits américains, tel qu’elle est mesurée par la comptabilité nationale, n’a augmenté que de 4 % au cours du premier trimestre 2003.
La seule croissance qu’il y a se trouve principalement concentrée dans un pays, les Etats-Unis. Et même là, elle reste confinée à la sphère de la consommation. Même aux Etats-Unis, où il y a eu des signes de reprise au cours du troisième trimestre 2003, les signaux sont contradictoires. L’évidence d’une reprise significative des investissements productifs – la force motrice réelle de toute reprise économique – n’est pas encore avérée. Ceci est étroitement lié à la question de la profitabilité. Les capitalistes essayent désespérément de rétablir leurs taux de profits aux dépends des travailleurs. La « reprise » actuelle, aux Etats-Unis, est accompagnée d’une augmentation du chômage, avec davantage de restructurations, de fermetures d’usines, de licenciements, de dégraissages et de saignées dans les budgets sociaux. Pour la grande majorité des Américains, cela ne ressemble pas du tout à une croissance.
Pour appréhender l’état réel des affaires, il est nécessaire de recourir à une analogie historique. De nos jours, les capitalistes poussent de grands cris de joie dès qu’ils atteignent un taux de croissance de 3 %. Pourtant, historiquement, il s’agit d’un résultat extrêmement faible. Examinons les chiffres de la croissance du PIB des pays capitalistes avancés au cours des dix années précédant la première récession d’après guerre, en 1973 :
Japon : 146 %
Canada : 69 %
France : 69 %
Italie : 58 %
Allemagne de l’Ouest : 54 %
USA : 48 %
OCDE : 63 %
Comparons ces chiffres à la situation actuelle. En 2002, l’économie américaine – qui était supposée être en plein reprise – croissait d’à peine 2.5 %, et les économies de la zone Euro d’un misérable 0.2 %. Le Japon avait officiellement une croissance de 3 %, mais en réalité, si l’on tient compte du facteur de la déflation (la baisse des prix), son taux de croissance nominal était négatif. La valeur de la monnaie japonaise continue de chuter, et c’est un facteur important pour le taux de profit. Dans tous les cas, même le chiffre de 3 % est très faible pour le Japon, si on le compare aux résultats passés.
Toutes les mesures prises par les capitalistes japonais, sous la pression de Washington, ont échoué à produire les effets désirés. C’est là une réponse claire aux Keynésiens qui, à gauche, estiment que la solution pour sortir de la crise réside dans la stimulation de l’économie par les dépenses publiques. De fait, au cours de la dernière période, le Japon a largement adopté une politique keynésienne. Les capitalistes japonais ont abandonné toute prudence. Quel en a été le résultat ? Ils ont plongé l’économie japonaise dans le rouge, transformant un excédent budgétaire de 1.4 % du PIB, en 2000, en un déficit estimé à 4.6 % du PIB en 2003. Les rendements à long terme des obligations se sont effondrés – et en dépit de tout, l’économie continue de stagner.
Le Japon ne peut plus agir comme une force motrice de l’économie mondiale. Son PIB a officiellement augmenté de 2.6 % au premier trimestre 2003, dans un chœur d’approbations. Mais si l’on tient compte de la déflation, le tableau n’est pas si rose. Les prix, mesuré par rapport au PIB, ont chuté de 3.3 % dans le même temps, de sorte que, dans l’absolu, l’économie japonaise poursuit sa chute. L’augmentation du Yen handicape toujours plus l’économie japonaise en rendant ses exportations moins compétitives, cependant que la déflation rend plus difficile le paiement des dettes accumulées.
L’état maladif de l’économie mondiale est révélé par la tendance globale à la déflation. Au cours des deux premiers trimestres de 2003, la croissance absolue du PIB des nations du G7 était de seulement 2 % (en rythme annuel). En outre, cette croissance est seulement soutenue par les dépenses des consommateurs américains, qui augmentent au taux annuel de 3 %, contre au 1.8 % au Japon et 0.8 % en Allemagne. Dans l’Union Européenne, la croissance a même été plus faible qu’au Japon au cours de ces trois dernières années. La confiance des consommateurs, en Italie et en Belgique, est tombée à son plus bas niveau depuis respectivement 9 et 10 ans. En Hollande, elle est à son plus bas niveau depuis 1958. La croissance prévisionnelle pour l’Union Européenne est de 0.75 %. De fait, l’UE est au bord de la récession.