Les capitalistes du monde entier – les américains en tête – foncent les yeux fermés vers le désastre. Ils ne comprennent les processus à l’œuvre et n’ont pas de perspectives. Ils réagissent de manière empirique à des événements qu’ils ne contrôlent pas. De fait, le système capitaliste international se trouve dans une impasse. Les capitalistes tentent de trouver une issue à cette crise, mais leurs propres agissements en renforcent le caractère convulsif.
Il est évident que la crise ne se développe pas en ligne droite. Des moments de flux et de reflux se succèdent. Ce qui est important, c’est de considérer le processus dans son ensemble. Trotsky remarquait que « les réformistes ne perçoivent que les reprises, les sectaires que les reculs, mais les marxistes perçoivent la totalité du processus ». Ce qui importe, c’est l’effet du cycle croissance-récession sur la conscience de la classe ouvrière et de toute la société. En outre, les conséquences des changements dans l’environnement économique ne se manifestent pas tout de suite, mais avec un certain retard. En général, la conscience humaine est profondément conservatrice ; elle est à la traîne des événements. La conscience actuelle des masses prend toujours racine dans le passé. Après une longue période de relative prospérité, il est naturellement difficile d’admettre que les choses ont radicalement changé.
Les réformistes prennent appui sur cette mentalité, qui peut être décrite comme la victoire de l’espoir sur la réalité. Il faudra un temps relativement long, et de nombreux coups durs, pour que ces préjugés et illusions s’effacent de la conscience des masses. Mais désormais, la classe ouvrière fait tous les jours de nouvelles expériences et doit apprendre de pénibles leçons. La nouvelle situation ne permet pas à la classe dirigeante de se payer le luxe de concessions et de réformes sérieuses.
L’attaque contre le système des retraites, en Europe, illustre bien cette nouvelle réalité. Après avoir travaillé toute leur vie, les salariés apprennent qu’ils devront travailler jusqu’à 65 ou 70 ans – pour ceux qui ne mourront pas avant. « Bossez jusqu’à ce que vous mourriez ! » : tel est le slogan de la bourgeoisie, qui au passage pille les caisses de retraite pour remplir ses propres poches. La classe ouvrière n’est pas la seule à se rendre compte de ce genre de choses. La masse des classes moyennes est aussi en train d’apprendre quelques très bonnes leçons sur le fonctionnement du capitalisme. Si les dirigeants actuels du mouvement ouvrier n’étaient pas désespérément incapables, ils se baseraient sur cette attaque pour gagner les classes moyennes aux idées du socialisme. Mais l’opinion des milliardaires leur importe davantage que celle des classes moyennes et des travailleurs.
Le fait est que si le capitalisme parvenait à atteindre des taux de croissance de 3% ou 4%, les capitalistes n’auraient aucunement besoin de s’attaquer aux retraites. Mais ils ne sont plus capables de parvenir à ce genre de résultats. De cela découlent beaucoup de choses, et par dessus tout le fait que le type de réformes du passé n’est plus possible. Les masses des pays capitalistes avancés n’ont pas encore compris cela. Elles continuent à se bercer d’illusions et à espérer que la crise actuelle n’est qu’une interruption momentanée avant un retour à la norme. Ces illusions sont renforcées par l’attitude des dirigeants du mouvement ouvrier, qui continuent de vivre dans le passé.
Du fait de la faiblesse du facteur subjectif (la direction du mouvement), le processus sera inévitablement de longue durée, et passera inévitablement par des périodes d’avancées et des périodes de reculs. Ce processus ressemblera à la période de 1930 à 1937, en Espagne. En 1931, la chute de la monarchie et la proclamation de la République inauguraient une période de tourmente révolutionnaire. Les masses investissaient la rue dans de gigantesques manifestations. L’état d’esprit était à l’euphorie.
Les Républicains et les Socialistes arrivèrent au pouvoir. Mais la gravité de la crise du capitalisme espagnol n’autorisait pas de solution « intermédiaire ». Cette période a débouché sur une formidable augmentation de la lutte de classe, un conflit ouvert entre le gauche et la droite, l’éclatement de la Commune des Asturies, en 1934, et finalement la victoire de la droite et les deux années noires (le « Biennio Negro »). Ces deux années furent marquées par la réaction la plus sombre, mais ne permirent pas de résoudre un seul des problèmes du capitalisme espagnol. En 1936, le gouvernement du Front Populaire prit le pouvoir, ouvrant une nouvelle période révolutionnaire, qui a immédiatement mené à un soulèvement fasciste et à la guerre civile. La classe ouvrière a eu de nombreuses occasions de prendre le pouvoir, mais en a été empêchée par chacune de ses propres organisations : le Parti Socialiste, le Parti Communiste, les anarchistes de la CNT et les centristes du POUM. La dernière occasion se présenta en 1937, lors des fameuses « Journées de mai » de Barcelone.
Bien sûr, il ne s’agit pas aujourd’hui de s’imaginer que ces évènements vont mécaniquement se répéter. Mais il faut bien comprendre ce fait essentiel que le processus de la Révolution Espagnole s’est déroulé sur sept années. Ce processus a connu des moments de grandes avancées révolutionnaires, mais aussi des périodes de fatigue, de démoralisation, de reculs, de défaites, et même de réaction noire. Mais du fait de l’impossibilité de résoudre les problèmes fondamentaux de la société sur les bases pourries du capitalisme espagnol, chaque recul ne faisait que préparer un période encore plus convulsive. Tel est le principal parallèle qui peut être fait avec la période dans laquelle nous sommes entrés à l’échelle mondiale.