De grandes grèves et manifestations se sont également déroulées au Pérou. Le gouvernement Toledo est faible et pourrait ne pas faire long feu. Les travailleurs demandent des augmentations de salaire, alors que le gouvernement augmente les impôts. La dette du secteur public s’élève à 47% du PIB. Un effondrement économique semblable à ce qu’a connu l’Argentine n’est pas du tout exclu.
La défaite du régime bonapartiste de Fujimori était la conséquence du mouvement de la masse de la population, et l’élection du politicien bourgeois Toledo n’était qu’une expression déformée de ce mouvement. Lors des élections, Toledo s’est présenté comme un opposant au « néolibéralisme » et a joué sur ses origines modestes et indiennes. Mais dès qu’il a tenté de privatiser l’électricité dans le sud du pays, il s’est heurté, en juin 2002, à une grève générale qui a pris des formes insurrectionnelles, en particulier à Arequipa, où la police et l’armée n’ont pas été capable d’entrer dans la ville pendant plus d’une semaine. Dans ce mouvement, la classe ouvrière, à travers ses organisations, a joué un rôle central. A travers les Comités Civiques, d’autres sections de la population ont participé à la lutte. Le mouvement est sorti victorieux, et a montré au peuple à la fois la faiblesse du régime de Toledo et le fait que seule la lutte de masse permet de le mettre en échec.
Cet état d’esprit a débouché sur le mouvement autour de la grève des enseignants en mai-juin 2003. Il ne s’agissait pas d’une grève ordinaire, mais plutôt d’un mouvement reflétant la profonde crise de légitimité de l’ensemble du système politique bourgeois. Le soutien dont bénéficient le président, le Congrès et le système judiciaire est extrêmement bas : 13% de la population dit avoir confiance dans ces institutions. Lorsque le gouvernement a tenté de déclarer l’état d’urgence pour écraser la grève, les syndicats ont répondu par une grève générale, et des manifestations de masse ont éclaté dans tout le pays. Le mouvement s’est soldé par une victoire partielle des enseignants et par un nouvel affaiblissement du gouvernement de Toledo, qui pourrait bien ne pas tenir plus de quelques mois. L’état d’esprit des masses était bien résumé par l’un des slogans, sur les manifestations des enseignants : « Toledo, on t’a mis au pouvoir avec des manifestations et on te renversera avec des manifestations. »
En Equateur, après les évènements révolutionnaires de janvier 2000 et de janvier-février 2001, on a vu l’élection de Lucio Gutierrez au début de l’année 2003. Il ne s’agissait pas d’une simple victoire électorale, mais plutôt de l’expression électorale du mouvement révolutionnaire des masses au cours des années précédentes, lequel mouvement a été dévié du fait de l’absence d’une direction marxiste. Lucio était le leader des sous-officiers qui étaient du côté du peuple lors de la révolution de janvier 2000. Il est arrivé au pouvoir à la suite d’une campagne électorale extrêmement polarisée, au cours de laquelle tous les autres partis bourgeois ont uni leurs forces contre lui et l’on accusé d’être un athée et un communiste. Bien sûr, il n’est ni l’un ni l’autre, mais le fait que les masses aient voté pour lui en dépit de cette campagne est très significatif.
A l’époque, nous disions : si Lucio se range du côté des travailleurs et des paysans, il se heurtera aux capitalistes et au FMI, et une situation semblable à celle du Venezuela pourrait se développer. Par contre, s’il se range du côté de la classe dirigeante et de Washington, il se heurtera rapidement aux travailleurs et aux paysans qui l’ont élu. C’est la deuxième alternative qui s’est produite.
Six mois après son accession à la présidence du pays, Toledo signait un accord avec le FMI, sans avoir ne serait-ce que commencé à se préoccuper des besoins urgents des travailleurs et des paysans. Dans un premier temps, le MPD (parti de gauche) et la CONAIE (la puissante organisation paysanne qui a joué un rôle clé dans la révolution de janvier 2000), sont sortis du gouvernement de Lucio et ont annoncé un programme de mobilisation de masse. Si la lune de miel du gouvernement a été aussi courte, c’est parce que la crise du capitalisme équatorien est telle que la classe dirigeante ne peut pas maintenir ses profits sans accroître encore l’exploitation des travailleurs et des paysans. La marge de manœuvre permettant de faire des concessions est quasiment inexistante. Mais il y a un autre facteur important : la victoire électorale de Toledo, loin d’être la première étape d’un mouvement vers la gauche (comme c’est le cas au Brésil), vient après une série de mouvements révolutionnaires des masses, qui ne veulent plus attendre. D’ailleurs, dans les premières lignes de la déclaration du Congrès du Peuple, convoqué en août 2003 par la CONAIE et d’autres organisations syndicales, il est écrit : « On en a assez ! On a attendu 6 mois ! » Un nouveau mouvement de masse ne tardera pas à renverser Toledo.