Le Venezuela et la question de l’armement du peuple

Cet article date du 19 mai 2004 et fut publié sous le titre : Chavez réitère son appel à l’armement du peuple. Depuis, le gouvernement vénézuelien a accepté d’organiser un référendum susceptible de révoquer le président Hugo Chavez. Certains militants de gauche estiment que l’organisation de ce référendum ramènera la lutte des classes au Venezuela dans la sphère de la « légalité pacifique ». Il n’en est rien. Au Venezuela, il est de notoriété publique que lors de la collecte des signatures nécessaires pour que le référendum soit organisé, l’opposition n’a cessé de frauder, n’hésitant pas à faire signer les morts, ou plusieurs fois la même personne. Pour l’opposition, le référendum n’est qu’une arme parmi d’autres pour écraser la révolution. Tout indique qu’elle se prépare également à user de la force, comme elle l’a fait à plusieurs reprises. Aussi l’analyse ci-dessous conserve-t-elle toute sa valeur.

Depuis le début, les médias privés et les dirigeants de l’opposition de droite vénézuélienne tentent de minimiser et de tourner en ridicule la découverte et l’arrestation, au Venezuela, de paramilitaires colombiens. Le gouvernement américain a fait de même. Mais la vérité est qu’il existe des liens évidents entre ces groupes d’« irréguliers » et les oligarchies vénézuélienne et colombienne – ainsi, bien sûr, que la main secourable des Etats-Unis. C’est si évident que même l’éditorialiste du quotidien Ultimas Noticias, Eléazar Diaz Rangel, a avoué à la radio RNV, quelques jours après l’arrestation, que « la coordination démocratique [la principale couverture de l’opposition] n’ose pas faire de déclaration claire et sans ambiguïté sur l’arrestation des paramilitaires colombiens, le 9 mai, à Caracas, informée qu’elle est des liens que ces groupes entretiennent avec certaines sections de l’opposition d’extrême droite. » 
Dans les colonnes de l’édition du 16 mai, il a ajouté que, depuis quelques années, il existe des plans d’invasion militaire du Venezuela.

D’après l’édition du 16 mai du journal Panorama, 122 paramilitaires ont été arrêtés, et au moins 8 officiers de l’armée sont impliqués. La participation d’officiers actifs et retraités dans les plans de ces contre-révolutionnaires a été flagrante, et les premières arrestations ont eu lieu (dont celles de deux colonels et un capitaine). Des mandats d’arrêt ont été lancés contre d’autres, y compris nombre des jadis fameux « officiers d’Altamira » (ceux qui appelèrent à un coup d’Etat militaire en décembre 2002, et organisaient des rassemblements place Altamira). Le fait que les paramilitaires arrêtés aient pu pénétrer dans le territoire vénézuélien et atteindre les environs de Caracas sans être repérés et immédiatement arrêtés prouve l’existence d’éléments contre-révolutionnaires au sein des forces de sécurité de l’Etat. Mais il est clair, par ailleurs, que l’oligarchie vénézuélienne est impliquée dans cette sombre affaire, notamment ces familles qui contrôlent actuellement les conseils et gouvernements régionaux, comme l’a souligné le général à la retraite Acosta Carles.

L’organisation paramilitaire Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) a à plusieurs reprises nié avoir prêté assistance aux paramilitaires arrêtés sur le sol vénézuélien. Mais comme Chavez lui-même l’expliquait le 14 mai, les chefs de ces groupes d’irréguliers ont été clairement identifiés comme étant des officiers supérieurs de l’AUC. En outre, il existe des preuves supplémentaires des liens existant entre l’AUC, les paramilitaires arrêtés, et de puissants groupes économiques vénézuéliens.

Comme les camarades du Courant Marxiste Révolutionnaire (vénézuélien) l’ont indiqué, il est clair que le seul moyen de faire avancer le processus révolutionnaire consiste dans l’expropriation des moyens de production et des banques actuellement aux mains de la classe dirigeante. A quoi il faudrait joindre l’éducation, l’organisation et la formation de milices d’auto-défense ouvrière, seule façon de contrecarrer les attaques brutales et sanglantes de la contre-révolution.

Contre-révolutionnaires et traditionalistes

Le quotidien EL Nacional, contrôlé par l’opposition et la classe capitaliste, a publié le 17 mai un exposé de deux pages sur les deux chefs de la prétendue Union Contre-Révolutionnaire Vénézuélienne  (UCRV), qui ont été arrêtés par le DISIP (la police d’investigation) à des fins d’investigation. 
L’article révélait que le chef de l’UCRV revendiquait ouvertement et fièrement son appartenance à la secte « catholique » d’extrême droite Tradition, Famille et Propriété (TFP), créée dans les années 60 puis interdite au Venezuela en 1984 par le gouvernement de Lusinchi, mais toujours active en Colombie et au Brésil (entre autres). Da Costa se décrit comme un idéologue de l’UCRV et de ses « commandos de la liberté », qu’il définit comme des « esprits sans corps » et de « paisibles » groupes luttant contre la montée du « communisme » au Venezuela. Il est notoire que ces commandos sont à peu près aussi paisibles que ne l’étaient les terroristes d’extrême droite de Patria y Libertad, au Chili, sous le gouvernement d’Allende. Il est important de se souvenir que les chefs connus du parti d’extrême droite Primero Justicia ont des liens avec la TFP. C’est la raison pour laquelle les maires de ce parti, en particulier ceux de la ville de Baruta, où les paramilitaires colombiens ont été arrêtés, devraient être interrogés au sujet de ces événements, comme l’a demandé Tarek William Saab, un député MVR (le parti de Chavez).

Au fur et à mesure qu’émergeaient tous ces faits, quelques chefs réformistes et petit bourgeois qui font partie du mouvement Bolivarien insistaient sur le « besoin de paix ». Ils expliquent qu’au Venezuela se déroule une « révolution pacifique », que les civils devraient être désarmés – et une longue et scandaleuse liste de raisonnements semblables. Parlez donc de « révolution pacifique » aux centaines d’ouvriers et de paysan tués par les fusils à la solde des capitalistes ! Parlez de « révolution pacifique » aux centaines d’activistes attaqués et tués par les forces de police contrôlées par la contre-révolution ! Mais le discours du 16 mai de Chavez était à l’opposé du « pacifisme » – ou plutôt, de la passivité – de ces éléments réformistes. Il a lancé un appel formel à armer le peuple. Il a appelé les chefs de communautés et les leaders ouvriers à engager immédiatement l’organisation de groupes de citoyens, en plus de ceux qui sont déjà dans les forces de réserve, de façon à mettre en pratique le slogan de « Peuple en armes ».

Les camarades du Courant Marxiste Révolutionnaire 
ont avancé ce slogan depuis longtemps. En tant que marxistes, 
nous comprenons que la classe dirigeante ne renoncera pas à 
ses privilèges sans une résistance acharnée. 
Parler de désarmement de la population civile et de repli sur 
des positions conciliantes est une attitude totalement contre-révolutionnaire 
qui ne peut mener qu’à la défaite du processus 
révolutionnaire vénézuélien. Comme notre 
camarade Alan Woods aime le dire : « On peut peler un oignon 
couche par couche, mais on ne peut pas dépecer un tigre griffe 
par griffe ». Dans le contexte d’une intensification de 
l’activité des groupes d’extrême droite, 
il est clair que, comme nous le disons au Venezuela : « plus 
tard, c’est trop tard ».

Mobilisation massive

Avant le 16 mai, il y a eu déjà des 
mobilisations, à Caracas et dans d’autres villes, contre 
la présence de paramilitaires sur le sol vénézuelien. 
Le 14 mai, il y a eu un rassemblement place Brion, à Chacaito, 
près de l’ambassade colombienne. Ces mobilisations ne 
faisaient que préparer la manifestation massive du 16 mai. 
Ce jour là, la marée rouge submergea à nouveau 
Caracas. Comme il fallait s’y attendre, les médias privés 
ont tenté de minimiser l’ampleur de la manifestation, 
mais certains de leurs journalistes tentèrent également 
d’expliquer la taille du cortège en prétendant 
que des personnes qui n’étaient pas Chavistes gonflaient 
ses rangs. Pour des photos de cette manifestations : http://www.rnv.gov.ve/galeria/thumbnails.php?album=33

Tôt le matin, les gens ont commencé 
à se réunir à Petare et au parc del Este, à 
l’est de la capitale, cependant que d’autres marchaient 
avenue Bolivar ou se rassemblaient place du Venezuela. L’afflux 
de personne sur l’avenue Bolivar fut constant et devint massif 
en fin de matinée, lorsque la tête du cortège 
commença à arriver.

Quelques membres du gouvernement et du parlement 
se sont adressés à la foule au cours de la journée, 
avertissant des dangers que représentent les paramilitaires. 
Le ministre de la communication et de l’information, Jesse Chacon, 
a expliqué que « le paramilitarisme consiste à 
couper des personnes en deux avec des scies électriques ou 
les enterrer vivantes ». Se référant à 
la mobilisation de masse à laquelle nous assistions et qui 
se déroulaient ailleurs dans le pays, le ministre du Travail 
et celui de la Science et de la Technologie ont déclaré 
tous deux que « les Vénézuéliens montrent 
chaque jour un niveau de conscience plus élevé. »

Nos interventions et slogans ont été 
reçus avec beaucoup d’enthousiasme par ceux qui sont 
venus à notre stand ou ont acheté notre journal, El 
Topo Obrero
, à nos camarades qui défilaient depuis 
Petare. Les idées du marxisme étaient reçues 
extrêmement favorablement, en particulier nos appels à 
la formation de milices populaires et à la nationalisation 
des monopoles et des banques. Ces slogans deviennent de plus en plus 
populaires. Il est clair que les masses ont déjà tiré 
des conclusions qui sont bien plus révolutionnaires que celles 
des dirigeants de partis et même de certains leaders syndicaux. 
Mais elles ne savent pas donner une forme achevée à 
leurs aspirations. C’est pourquoi le rôle de l’avant-garde 
ouvrière est indispensable. Mais cette avant-garde ne doit 
pas agir de façon sectaire, à l’écart des 
masses, et en tentant de leur imposer ses propres conclusions.

Le discours de Chavez et les taches des révolutionnaires

Il y a plus d’un an, en évoquant l’échec 
du lock out patronal et du sabotage de l’industrie 
pétrolière, la camarade Emilia Lucena écrivait 
 : « comme Trotsky l’a expliqué dans son Histoire 
de la Révolution russe
, il arrive que le fouet de la contre-révolution 
pousse le mouvement révolutionnaire en avant. Cette idée 
a de nouveau été confirmée au Venezuela. » 
Nous pouvons dire la même chose concernant les événements 
récents, au vue de l’arrestation des paramilitaires et 
des grandes lignes du discours du Président Chavez, lors de 
la manifestation.

Le 12 mai, l’activation du Conseil de Défense 
Nationale fut annoncée. Il devra siéger en session permanente. 
A cet instant, nous craignions que, comme lors du Guarimba (les 
émeutes de février orchestrées par l’opposition), 
les ouvriers et le peuple ne soient pas impliqués dans la défense 
du processus révolutionnaire. Comme nous l’avons toujours 
dit, les masses doivent jouer un rôle fondamental dans la défense 
et l’extension du processus révolutionnaire. Ceci ne 
peut pas être fait indépendamment des forces armées, 
et en particulier de la troupe. Nous ne sommes pas gauchistes, et 
comprenons le rôle important que la troupe a joué dans 
des circonstances cruciales, comme par exemple le 13 avril 2002, lorsque 
les soldats de Caracas reprirent le palais présidentiel de 
Miraflores.
Nous avons également pensé que c’était 
une erreur que de dire que le gouvernement colombien n’était 
pas impliqué dans l’affaire des paramilitaires, comme 
l’a fait Chavez il y a quelques jours lors d’une conférence 
de presse. Le président colombien Uribe n’est qu’un 
servant fidèle des intérêts de l’oligarchie 
colombienne. Les « Paras » ont toujours été 
employés pour effectuer le sale boulot de l’armée 
et de la classe dirigeante colombiennes. Ceci a été 
clairement expliqué par Gloria Gaitan, fille du chef populaire 
colombien assassiné, qui a justement mis l’accent sur 
l’implication du gouvernement Uribe dans des provocations qui 
servent les intérêts de l’impérialisme et 
des bourgeoisies colombienne et vénézuélienne 
– lesquelles veulent envahir le pays. C’est pourquoi beaucoup 
d’organisations, en Colombie et dans le monde – y compris 
les guérilleros colombiens de l’ELN – ont dénoncé 
l’achat de plus de 40 chars AMX30 au gouvernement espagnol, 
non pas comme un élément de la prétendue guerre 
anti-drogue menée contre la guérilla colombienne, mais 
plutôt comme une course aux armements menée par l’oligarchie 
colombienne dans le but de satisfaire la volonté des Etats-Unis 
– c’est-à-dire d’envahir le Venezuela pour y briser 
le processus révolutionnaire.

Mais nous devons insister sur le fait que Chavez 
a globalement viré à gauche, ce que les marxistes révolutionnaires 
doivent soutenir et encourager. Le 14 mai, dans un entretien téléphonique 
avec la chaîne de télévision d’Etat (VTV), 
il a déclaré qu’il y a des délibérations 
au sujet de « l’expropriation de tout bâtiment, 
propriété ou installation où il sera prouvé 
que les groupes paramilitaires ont été entraînés 
 ». Nous ajouterons que ces mesures d’expropriation doivent 
être étendues aux moyens de production dans leur ensemble, 
aux banques, et à toutes les propriétés actuellement 
aux mains des membres de la classe dirigeante vénézuélienne 
impliqués dans cette tentative d’invasion. Ce serait 
la première étape vers l’expropriation complète 
de tous les moyens de production et des banques que contrôlent 
les capitalistes vénézuéliens et étrangers.

Encore plus significatif fut le discours qui clôtura 
la marche. A d’autres occasions, nous avons expliqué 
que c’était une erreur d’appeler à une manifestation 
de masse sans lui assigner d’objectif clair. Mais ce ne fut 
pas le cas ce jour là. Chavez précisa clairement les 
objectifs aux travailleurs et dirigeants du peuple. Il déclara 
que « dans chaque quartier, dans chaque coin de montagne, champ, 
université, usine, partout où existe un groupe, les 
révolutionnaires doivent commencer à organiser et former 
des milices populaires et ouvrières. » Il ajouta qu’il 
est temps, pour la sécurité de la révolution, 
de changer de concept, de la réorienter, parce que nous travaillons 
toujours selon les schémas bureaucratiques démodés 
de la IV° République ». Chavez a compris le danger 
auquel le processus révolutionnaire fait face en laissant intactes 
les structures bourgeoises sur lesquelles l’appareil d’Etat, 
y compris les forces armées, se fonde.

Chavez a lancé un appel, non seulement aux 
structures du pouvoir existantes, mais également au mouvement 
des travailleurs et du peuple, les invitant de prendre eux-mêmes 
l’initiative d’organiser l’armement du peuple. « 
Dans les semaines à venir, avec l’avis du Conseil de 
Défense Nationale, je commencerai à donner des directives 
et des plans. Je demande le soutien des conseils locaux, des mouvements 
sociaux, des courants populaires (…), des hommes et des femmes 
qui ne sont pas réservistes, mais qui sont prêts à 
devenir soldats, sans passer par une caserne, et à recevoir 
une formation militaire et s’organiser militairement pour la 
défense du pays (…). Avec un peuple conscient et mobilisé, 
rien ni personne ne pourra vaincre le Venezuela. » Le ministre 
de la défense, Gral Garcia Carneiro a déjà déclaré 
que la mobilisation s’organisait, au sein des forces armées, 
pour coordonner ces tâches.

Il était intéressant de voir l’effet 
du discours du président sur les différents acteurs 
du mouvement. Certains dirigeants syndicaux, qui avaient employé 
jusqu’ici la rhétorique de la conciliation et du pacifisme, 
invitant le peuple à la passivité, ont été 
contraints de changer de langage. Le chef du syndicat UNT, Marcela 
Maspero, a déclaré que l’UNT commençait 
déjà à coordonner ses différentes fédérations 
et syndicats pour former ces brigades de travailleurs. Un autre dirigeant 
de l’UNT, Stalin Perez Borge, a également déclaré 
que « l’UNT demandera une réunion avec le ministre 
de la défense pour faire en sorte que les milices ouvrières 
puissent commencer à recevoir une formation militaire. » 
Il est de la responsabilité de la troupe de s’assurer 
que ces slogans soient mis en pratique. Les travailleurs, dans toutes 
les usines, doivent exiger que leurs dirigeants syndicaux s’impliquent 
et commencent l’entraînement de ces brigades ouvrières. 
Comme le Président Chavez l’a dit, c’est le devoir 
de tous. Cela ne peut pas être laissé à la responsabilité 
des seules directions. Nous devons tous être impliqués 
 ; nous devons interpeller les dirigeants des syndicats, partis et 
communautés pour qu’ils jouent un rôle dans l’organisation 
immédiate des brigades ouvrières et populaires d’autodéfense. 
C’est la seule façon d’aller de l’avant. 
C’est la seule véritable défense, face aux offensives 
de la contre-révolution.

Face aux assauts de la contre-révolution  : formation de brigades ouvrières d’auto défense !
Expropriation immédiate de l’oligarchie et de ses valets  !
Approfondissons la révolution en avançant vers le socialisme !

Hermann Albrecht, du Courant Marxiste Révolutionnaire (Venezuela)

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