Plus encore que le précédent, le nouveau gouvernement Raffarin représente le vrai visage du capitalisme français – dans toute sa laideur. La nomination de Nicolas Sarkozy, connu pour ses idées ultra-réactionnaires, à la tête d’un « super-ministère » des Finances et de l’Economie, ne devrait laisser aucun doute dans les esprits quant à la volonté du gouvernement de poursuivre sa politique rétrograde. La droite mène une offensive contre toutes les grandes conquêtes sociales du mouvement ouvrier français, et ne se laissera détourner de ce but ni par des discours parlementaires, ni par des manifestations ou des grèves sporadiques, ni par un quelconque « désaveu » électoral, aussi fort soit-il.
Le capitalisme est un système rapace et impitoyable. Il s’agit d’une guerre économique permanente, dans laquelle les travailleurs tiennent lieu de la « chair à canon », cependant que les capitalistes récoltent le butin. Dans leur lutte pour la domination des marchés, ils dressent une industrie contre une autre, un pays contre un autre. Le camp qui l’emporte est celui qui paie les salaires les plus bas et n’est pas handicapé par ces « fardeaux » que sont les systèmes de protection sociale, les services publics et des droits syndicaux.
Il en a toujours été ainsi. Ceci dit, dans le passé, l’expansion du marché mondial et l’accumulation d’une masse sans cesse croissante de profits créaient un contexte particulier en France et dans les autres pays industrialisés. Certes, la lutte des classes continuait. Elle a même connu des moments d’une intensité historiquement exceptionnelle – en particulier en France, en 1968. Néanmoins, de manière générale, l’essor industriel des décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale fournissait la base économique d’un certain équilibre dans les rapports sociaux. Les générations qui ont grandi dans le contexte de l’époque se sont habituées à l’idée que l’on pouvait le plus souvent « s’arranger » entre salariés et employeurs, de sorte que chacun y trouvait son compte. Des manifestations, des grèves, et parfois même la simple menace de grèves, suffisaient à arracher des concessions aux capitalistes et aux gouvernements successifs. Le niveau de vie de la population augmentait.
Aujourd’hui, la situation a radicalement changé, et chaque jeune, chaque travailleur et chaque retraité a intérêt à en prendre pleinement conscience. Le capitalisme mondial connaît une grave crise. En outre, la position mondiale de la France s’affaiblit, que ce soit en terme de parts de marché, de puissance militaire ou d’influence diplomatique. A la place des taux de croissance relativement élevés du passé, l’économie française stagne aux alentours de 0 %, comme pratiquement toutes les économies européennes. La dette publique de la France s’élève désormais à plus de 1000 milliards d’euros, soit l’équivalent des deux-tiers de son PIB annuel.
Cette nouvelle situation n’a rien d’une « conjoncture » passagère. D’après les prévisions notoirement optimistes de l’INSEE – qui les a revues à la baisse par deux fois depuis novembre 2003 – l’économie française ne croîtra que de 1,4 % en 2004, ce qui signifie que le chômage s’aggravera et que le niveau de vie de la vaste majorité de la population continuera de se dégrader.
Dans ces conditions, le relatif équilibre social qui existait par le passé est rompu. Il fait place à des tensions et des conflits de plus en plus âpres. Face à la crise de leur système, il ne reste aux capitalistes qu’une seule voie. Ils doivent mener une attaque frontale contre tout ce qui contribue à rendre la vie tolérable aux travailleurs et à leur famille, que ce soit la sécurité de l’emploi, les conditions de travail, les prestations sociales, les services publics, l’assurance-maladie, la retraite, l’indemnisation des chômeurs ou encore les droits syndicaux.
Ceci explique l’attitude absolument implacable de Chirac et Raffarin, pour qui les « réformes » doivent être menées à terme, quoiqu’il arrive. De ce point de vue, nous devons au moins reconnaître à ces réactionnaires une qualité de taille : ils sont pleinement conscients des intérêts de classe qu’ils défendent et mènent leur combat contre nôtre classe avec énergie et détermination. A l’inverse, si les travailleurs de France disposent, en tant force sociale, d’une puissance potentielle infiniment plus importante de celle de la petite classe parasitaire représentée par Raffarin et sa clique, ils ont cette faiblesse majeure de ne s’être pas dotés de dirigeants aussi solides que ceux d’en face.
A la tête de la CFDT, nous avons un homme qui ose dire que la défaite de la droite aux élections régionales ne s’explique pas par la réforme des retraites, mais par le fait que Raffarin n’a pas encore suffisamment appliqué de réformes semblables dans d’autres domaines ! A la tête de la CGT et de Force Ouvrière, la ligne défendue est toujours celle de la négociation, comme si de simples pourparlers pouvaient changer la politique du gouvernement. Au PS, Hollande et Fabius déclarent vouloir « réconcilier les deux France ». Enfin, Marie-George Buffet ne cesse de plaider pour un nouveau « vivre ensemble ». Autant de formules qui font abstraction de l’existence d’un antagonisme inconciliable entre les intérêts vitaux des capitalistes et ceux des travailleurs, et qui ne sont donc pas en phase avec la réalité.
La nouvelle époque exige de nouveaux comportements aux sommets des partis de gauche et de nos organisations syndicales. Malheureusement, les dirigeants du PS et du PCF se contentent de dénoncer les méfaits de la droite, mais ne présentent aucune alternative sérieuse. Ils espèrent sans doute que le simple rejet de la droite suffira pour ramener la gauche au pouvoir lors des prochaines élections législatives.
Certes, nous devons nous débarrasser au plus vite de ce gouvernement, et, dans l’immédiat, nous devons tout mettre en oeuvre pour organiser une résistance aussi puissante que possible à sa politique dans les entreprises et dans les services publics. Mais pour ce faire, il faut commencer par dire la vérité à la jeunesse et aux travailleurs. Il faut leur expliquer que s’ils veulent éviter la destruction de ce qui a été gagné au cours des luttes menées par les générations précédentes, ils doivent arracher aux capitalistes le contrôle des banques et des grandes entreprises. La gestion de celles-ci doit revenir aux travailleurs de ce pays, à ceux qui créent les richesses qui ont jusqu’ici surtout profité aux capitalistes. Pour que la gauche soit bien armée dans les batailles qui nous attendent, cette revendication essentielle doit être placée au cœur de son programme.
La Rédaction