Au Venezuela, le conflit engagé entre les forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires est entré dans une phase critique. La situation actuelle, dans laquelle les deux camps se tiennent mutuellement en échec, ne durera plus longtemps. L’heure décisive approche. Désormais, la question de la révolution socialiste au Venezuela se pose comme une tâche pratique, immédiate et incontournable, sous peine d’ouvrir la voie à une contre-révolution sanglante similaire à celle qui a eu lieu au Chili en 1973.
Les classes dirigeantes de l’ensemble de l’Amérique Latine et des grandes puissances impérialistes suivent le déroulement des événements au Venezuela avec la plus grande appréhension. Leur dénouement est pour eux une question de vie ou de mort. Le soulèvement populaire en Bolivie, l’effondrement de l’économie en Argentine, la crise économique et sociale profonde qui sévit dans tous les pays du continent – tout cela ne fait que souligner les conséquences colossales qu’aurait une conclusion victorieuse de la révolution vénézuélienne. L’avènement d’un régime socialiste au Venezuela ne serait que la première étape d’une extension de la révolution à l’ensemble de l’Amérique Latine. En outre, étant donnée l’importance numérique de la population hispanophone des Etats-Unis, un tel événement se ferait sentir jusque sur le territoire de la plus grande puissance impérialiste du monde. La Maison Blanche et le Pentagone ne sont pas restés passifs devant ce danger. L’administration américaine a cherché par tous les moyens à sa disposition à intervenir dans les affaires intérieures du Venezuela afin d’y installer un gouvernement aligné sur ses intérêts économiques et stratégiques.
Jusqu’à présent, le processus révolutionnaire, passant de paroxysme en paroxysme, a mis en échec les offensives successives de la réaction intérieure et de l’impérialisme étranger. Mais le capitalisme n’a pas été renversé. Certes, l’intervention massive des travailleurs et des jeunes a fait échouer le coup d’Etat militaire du 11 avril 2002. En décembre 2002, lorsque la classe dirigeante a voulu déstabiliser le gouvernement au moyen d’un sabotage économique et d’un lock-out (une fermeture délibérée des entreprises par les patrons), elle a essuyé un nouvel échec face à la mobilisation des travailleurs du pays. Cependant, ces victoires n’ont pas et ne pouvaient pas définitivement écarter le danger contre-révolutionnaire. Pour cela, des mesures radicales permettant de briser le pouvoir économique de la classe capitaliste vénézuélienne sont nécessaires. Il faudrait notamment procéder à la socialisation et au contrôle démocratique des moyens de production du pays, ainsi qu’au désarmement de la réaction. Ensuite, les travailleurs vénézuéliens se tourneraient vers ceux de l’ensemble de l’Amérique Latine pour qu’ils répandent la révolution à travers le continent. A l’inverse, une révolution qui s’arrête à mi-chemin est perdue. A défaut d’une conclusion révolutionnaire et socialiste, les ennemis de la révolution, appuyés par l’impérialisme américain et européen, finiront tôt ou tard par reprendre le dessus. Dès que la situation tournera à leur avantage, ils agiront de manière décisive pour mettre fin à la révolution – si nécessaire en la noyant dans le sang.
L’émergence d’Hugo Chavez et sa victoire aux élections présidentielles de 1998 s’expliquent par l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme au Venezuela. En 1989, à Caracas, l’armée a été lancée contre des manifestants qui dénonçaient la mise en place d’un programme de « réformes » frappant de plein fouet les couches les plus défavorisées de la société. La répression a été particulièrement sanglante, laissant plusieurs centaines de morts dans les rues de la capitale. Au sein de l’armée, les mutineries et les protestations se sont multipliées. Bon nombre de soldats et de jeunes officiers – dont Chavez – étant eux-mêmes issus des milieux pauvres, étaient solidaires des manifestants et se sont révoltés contre l’utilisation de l’armée pour réprimer le peuple. Lors des élections présidentielles de 1998, la droite vénézuélienne a présenté une « Miss Venezuela » contre la candidature de Chavez. La droite considérait, avec la presse et les chaînes de télévision du monde entier, que la partie était gagnée d’avance. Cependant, Chavez, qui bénéficiait du soutien des couches sociales les plus pauvres des campagnes ainsi que de la jeunesse et des travailleurs dans les villes, a remporté le scrutin avec 60% des voix.
Le programme de Chavez n’avait rien de révolutionnaire, mais son élection a ouvert la voie à une vague de mobilisation populaire. Le peuple avait enfin l’un des siens au pouvoir, et voyait dans la défaite de la droite l’occasion d’en finir avec l’oppression et les inégalités flagrantes. Près de 10 000 « cercles bolivariens » ont été organisés dans les quartiers des grandes villes et dans les villages. Sous la pression populaire, Chavez a réalisé un certain nombre de réformes sociales qui lui ont valu d’être haï par les classes dirigeantes du Venezuela et des puissances impérialistes étrangères. L’administration américaine, en particulier, voyait d’un très mauvais œil l’installation d’un gouvernement qu’elle jugeait trop sensible aux revendications sociales et qui ne pouvait, à ses yeux, qu’encourager la mobilisation des classes exploitées. La « masse obscure », dont l’inertie et la soumission constitue la condition sine qua non de la sécurité des intérêts impérialistes au Venezuela, était désormais debout !
Chavez a augmenté le budget du système éducatif et introduit la gratuité de l’école, ce qui a permis d’accroître de plus d’un million le nombre d’enfants scolarisés. Quelque 3000 « écoles bolivariennes » ont été ouvertes, donnant accès à toute une gamme d’activités culturelles et parascolaires à des centaines de milliers de jeunes. Des mesures ont été prises pour favoriser la mise en place de services publics tels que le ramassage d’ordures ou l’entretien des systèmes d’irrigation, notamment par le biais de crédits à taux réduits. Des centaines de milliers de « squatters » qui habitent en bordure des villes dans des foyers faits de tôle et de bric-à-brac, et qui étaient constamment menacés d’expulsion, ont été confortés dans leurs droits. De telles mesures ont contribué à renforcer la réputation de Chavez comme défenseur des pauvres. En même temps, elles ont fait l’objet d’une campagne d’hystérie dans la presse et à la télévision, qui ont agité sans vergogne le spectre d’une possible « descente en masse » de pilleurs enragés et misérables qui viendraient sévir dans les beaux quartiers de la capitale.
Au nom du renforcement de la « souveraineté nationale », Chavez a pris des mesures contre la clique corrompue qui dirigeait l’industrie pétrolière (PVDSA). Les éléments les plus véreux parmi les dirigeants de la compagnie ont été relevés de leurs fonctions. En agissant de la sorte, Chavez empiétait directement sur les intérêts des compagnies pétrolières américaines. Dès lors, de nombreux gouvernements étrangers, dont ceux de Washington et de Madrid, ont décidé qu’il fallait au plus vite se débarrasser de Chavez et remettre une fois pour toutes le peuple vénézuélien à sa « juste place ».
Le 11 avril 2002, un coup d’Etat militaire a eu lieu. Mené par des généraux réactionnaires de l’armée vénézuélienne, il avait été soigneusement préparé. Il était soutenu activement et de façon concertée par le gouvernement des Etats-Unis, par la presse réactionnaire, par les principales chaînes de télévision, par les dirigeants des entreprises capitalistes et des banques, par des dirigeants syndicaux corrompus et par l’Eglise catholique. Le palais présidentiel était cerné par les putschistes, qui ont aussitôt adressé un ultimatum à Chavez. Il devait immédiatement se constituer prisonnier, sans quoi le palais serait bombardé. Chavez a obtempéré. Il a été éloigné de la capitale et enfermé dans une cellule. Quelques heures plus tard, un avion militaire américain a atterri à proximité de son lieu de détention. Il ne fait guère de doute que si les auteurs du coup d’Etat étaient parvenus à leurs fins, Chavez aurait été « suicidé » sur ordre du gouvernement américain.
La seule chaîne de télévision publique a été privée d’antenne, tandis que les chaînes privées hostiles à Chavez annonçaient la démission du président. Dans la journée, des francs-tireurs agissant pour le compte des putschistes avaient ouvert le feu sur des manifestants, et les médias prétendaient que la fusillade avait eu lieu sur ordre de Chavez. Un nouveau gouvernement et un nouveau président ont été nommés. La Constitution a été suspendue. Le nouveau gouvernement a immédiatement été reconnu par les Etats-Unis et l’Espagne.
Cependant, après quelques heures de confusion, les travailleurs et la jeunesse de la capitale se sont mobilisés. Plusieurs centaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue pour réclamer une preuve de la démission du président. Ils voulaient savoir où se trouvait Chavez. D’immenses foules, de plus en plus convaincues qu’il s’agissait d’un coup d’Etat déguisé en démission présidentielle, se sont formées devant le palais et les casernes. Finalement, devant l’ampleur de la mobilisation, les soldats en poste à l’intérieur du palais sont passés à l’action et les membres du nouveau gouvernement ont été arrêtés. Dans les casernes, la majorité des militaires se sont soulevés contre les auteurs du coup. La tentative contre-révolutionnaire a échoué et, le 13 avril, Chavez a pu être ramené vivant à Caracas.
Ces événements dramatiques démontrent, une fois de plus, que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la violence lorsqu’elle estime que ses intérêts fondamentaux sont en jeu. Elle ne tolère la démocratie que dans la mesure où celle-ci ne porte pas atteinte à sa propriété, ses privilèges et son pouvoir.
Après l’échec du coup d’Etat, il aurait été facile de mobiliser les travailleurs, les jeunes et les paysans pauvres pour mettre définitivement fin au système capitaliste. Les généraux putschistes, les banquiers, les capitalistes et l’ensemble de la classe dirigeante étaient impliqués dans le complot, et des mesures décisives à leur encontre – la nationalisation des grandes entreprises privées et des banques, l’expropriation des terres des grands propriétaires, l’arrestation et l’incarcération des auteurs du putsch – auraient étaient massivement soutenues par la population. Chavez, cependant, n’a pas agi de la sorte. Au lieu de prendre les mesures révolutionnaires qui s’imposaient, il a cherché à rassurer ceux qui auraient pu le tuer. Les anciens dirigeants de la PDVSA ont été rétablis dans leurs fonctions. Aucun des militaires responsables du putsch n’a été condamné. Mais la faiblesse invite à l’agression, et les contre-révolutionnaires ont profité de l’attitude conciliante de Chavez pour préparer une nouvelle offensive, qui s’est concrétisée par la campagne de sabotage et de déstabilisation économique déclenchée le 2 décembre 2002.
Cette campagne visait à miner la popularité du gouvernement Chavez en étranglant l’économie nationale. Au moyen d’un lock-out massif privant des centaines de milliers de salariés de leur emploi, mais aussi en paralysant la distribution des denrées de première nécessité et en bloquant les ports et le commerce international, les capitalistes voulaient créer un contexte social et économique susceptible de préparer le terrain à un nouveau coup d’Etat. La cible principale des saboteurs était la PDVSA, qui réalise 75% des exportations du pays et fournit 50% des revenus de l’Etat. Entre le 2 et le 6 décembre, 23 pétroliers ont été privés d’accès aux terminaux de chargement. Le Venezuela est l’un des principaux fournisseurs de pétrole des Etats-Unis. De même que l’impérialisme américain a voulu s’emparer du pétrole irakien, il veut aussi mettre la main sur les ressources pétrolières du Venezuela. Le renversement de Chavez et le retour de la droite ouvriraient la voie à la privatisation de la PDVSA au profit des compagnies pétrolières américaines.
La campagne de sabotage patronal, que les médias français ont présenté comme une « grève générale » contre le « régime autoritaire » de Chavez, a été mise en échec par une mobilisation massive de la population vénézuélienne, et notamment des travailleurs du secteur pétrolier. Ce sont eux qui ont réparé ou remplacé les installations sabordées par les directeurs et les techniciens hauts gradés de l’industrie. A la raffinerie de Puerto la Cruz, comme à celle d’El Palito et au centre de distribution de Yagua, les travailleurs ont occupé les lieux et, d’une façon organisée et méthodique, ont rétabli le fonctionnement normal des installations. Ceci a été accompli sous le contrôle démocratique des salariés eux-mêmes et sous la direction de leurs représentants directs, élus et révocables à tout moment.
Il ne fait pas de doute que le gouvernement de Chavez doit sa survie avant tout à l’initiative révolutionnaire des travailleurs du secteur pétrolier. L’action de ces travailleurs constitue une preuve irréfutable de la capacité de la classe ouvrière à se passer des employeurs et à diriger elle-même la société. La PDVSA est la cinquième entreprise industrielle du continent latino-américain et figure parmi les cinquante entreprises les plus importantes au monde. Son fonctionnement implique une technologie très moderne. Ce fait majeur, aux implications colossales pour les travailleurs du monde entier, a été sciemment ignoré par l’industrie audiovisuelle et par la presse écrite, en France comme ailleurs. Et pour cause : l’expérience du contrôle ouvrier au Venezuela indique le moyen par lequel on pourrait sortir du chaos économique et de la régression sociale qu’impose le capitalisme aux peuples du monde entier.
Les salariés de la PDVSA ont bénéficié du soutien actif de la vaste majorité des travailleurs et des jeunes vénézuéliens. Le peuple s’est mobilisé pour protéger les raffineries et empêcher de nouveaux actes de sabotage. En concertation avec la garde nationale et les soldats révolutionnaires, les travailleurs du pays ont assuré la distribution du pétrole pendant les 63 jours du lock-out. La déclaration faite par l’opposition, pendant les vacances de fin d’année, contre l’ouverture des écoles à la rentrée, n’a fait que renforcer l’ampleur de la mobilisation sociale. Le 20 février, la police vénézuélienne a procédé à l’arrestation du président du Fedecaramas – le MEDEF vénézuélien. Carlos Fernandez a été inculpé de haute trahison. Cette arrestation témoignait du nouveau rapport de forces entre les camps révolutionnaire et contre-révolutionnaire.
Le 23 janvier, une manifestation massive – la « prise de Caracas » – a eu lieu pour protester contre le sabotage patronal. L’opposition avait cherché à semer la panique dans les quartiers aisés de la capitale et laissait croire à leurs habitants que, ce jour-là, les « hordes de Chavez » allaient les attaquer. Les armes à feu étaient recensées, des munitions préparées et des provisions en eau et vivres stockées pour faire face à l’assaut annoncé. Le but de cette campagne de propagande hystérique était de provoquer une confrontation violente entre la classe moyenne et les manifestants afin de rallier à l’opposition une partie des forces armées et justifier une intervention étrangère. Au début du mois de janvier, dans le même but, l’opposition avait déjà organisé une manifestation devant la caserne de Fuerte Tiuna, à Caracas. La manifestation exigeait ostensiblement la libération d’un officier de l’armée arrêté en raison de son implication dans le coup d’Etat du 11 avril. Le gouvernement n’a rien fait pour empêcher cette provocation. Cependant, une contre-manifestation spontanée de plusieurs milliers de « bolivariens » s’est dirigée vers la caserne. Les réactionnaires ont ouvert le feu, tuant deux personnes parmi les pro-Chavez. Pendant que la foule se regroupait autour des morts et des blessés, la police métropolitaine, contrôlée par l’opposition, s’est lancée contre les « bolivariens », les repoussant violemment à coups de matraque. C’est à cette époque que l’association ATTAC France a lancé sur son site internet une pétition internationale demandant à l’administration Bush d’intervenir au Venezuela « pour empêcher un coup d’Etat » ! Les travailleurs vénézuéliens n’auraient bien évidemment jamais accepté une telle intervention. Ils savaient, eux, comment faire face au danger contre-révolutionnaire. La manifestation du 23 janvier a mobilisé plus de 2 millions de personnes. Devant l’immense marée humaine qui traversait les boulevards de la ville, l’opposition n’avait d’autre choix que d’annoncer un « relâchement » de sa campagne de sabotage et, peu après, a dû officiellement y mettre fin.
Après ce nouvel échec de l’opposition, Chavez, au lieu de faire des concessions à ses ennemis, comme il l’avait fait en avril 2002, a adopté un comportement plus offensif. S’adressant à la manifestation du 23 janvier, Chavez s’est déclaré en faveur d’un « approfondissement » de la mobilisation populaire. Des mesures pour empêcher la fuite des capitaux ont enfin été mises en application, ainsi qu’un dispositif de contrôle des prix pour lutter contre la spéculation. Lors d’un discours télévisé, le 16 février 2003, Chavez a invité les comités de défense du droit à l’éducation à étendre leur activité à la surveillance des prix. De même, dans une série de discours prononcés dans des raffineries pétrolières, Chavez a publiquement reconnu le rôle déterminant des travailleurs du secteur dans la défaite de la réaction. L’arrestation de Carlos Fernandez symbolisait cette démarche plus offensive du gouvernement.
Chaque épreuve de force a laissé la contre-révolution affaiblie et sur la défensive. Le renversement rapide du gouvernement issu du coup d’Etat d’avril 2002 a eu comme conséquence de purger les forces armées des éléments les plus réactionnaires. Le lock-out lancé en décembre 2002 a abouti au transfert du contrôle d’une bonne part de l’industrie pétrolière aux travailleurs du secteur. Cependant, le danger contre-révolutionnaire n’est pas définitivement écarté. La classe capitaliste conserve le contrôle de l’économie, de l’industrie audiovisuelle, de la presse, et peut compter sur le soutien des grandes puissances impérialistes, en particulier de l’impérialisme américain. Elle n’attend qu’une nouvelle occasion pour repasser à l’offensive.
Certes, Chavez a « nettoyé » la PDVSA en licenciant 12 000 directeurs et techniciens saboteurs, mais il cherche à les remplacer par une autre structure hiérarchique proche de celle qui existait auparavant. Cette politique ne peut qu’affaiblir la révolution. L’expérience du contrôle ouvrier dans l’industrie pendant le lock-out patronal a démontré que les travailleurs n’ont nullement besoin d’une caste de gérants imposés de l’extérieur, grassement payés et dotés de pouvoirs arbitraires. Les méthodes de gestion démocratique et socialiste utilisées pour contrer la campagne de sabotage devraient être généralisées et légalisées. Des professionnels et des spécialistes sont bien évidemment nécessaires, mais ils doivent être soumis au contrôle collectif et démocratique des travailleurs du secteur. Ce sont les travailleurs de l’industrie qui l’ont sauvée, et ce sont eux qui devraient désormais en assurer la gestion. Le même système devrait être étendu aux autres branches du secteur public.
Dans le secteur privé, les employeurs ont depuis longtemps montré leur incapacité à gérer leurs entreprises autrement qu’au détriment des intérêts des salariés. Aujourd’hui, ils cherchent à intimider et punir les travailleurs en leur imposant de lourds sacrifices sous prétexte de rattraper les pertes occasionnées par le lock-out. Dans de nombreuses entreprises, les salaires ont été réduits ; des jours de congé et d’autres acquis sociaux ont été supprimés. Dans certains cas, les capitalistes ont annoncé la fermeture d’entreprises jugées insuffisamment rentables.
A Barquisimeto, après avoir remplacé leurs dirigeants syndicaux par des éléments plus combatifs, les salariés de l’entreprise Convencaucho ont occupé l’usine afin d’empêcher sa fermeture et assurer le paiement des salaires. Au mois de février 2003, un rassemblement de 350 dirigeants syndicaux organisé par le courant Autonomie syndicale a abordé la question de l’occupation de toutes les entreprises « abandonnées, déclarées en faillite, fermées ou délaissées, avec la création de comités ouvriers d’entreprises visant à obtenir la nationalisation des entreprises concernées. » La tendance syndicale représentée par la revue La taupe ouvrière réclame, pour sa part, que « face à la crise du capitalisme, le gouvernement réactive l’industrie nationale, en appliquant le principe selon lequel toute entreprise fermée doit être rouverte sous le contrôle direct des travailleurs. » En effet, la seule façon de contrecarrer l’offensive patronale passe par l’expropriation des entreprises et la mise en place d’une gestion démocratique et socialiste du secteur productif, ce qui permettra de réaliser une planification rationnelle de l’économie dans l’intérêt de tous les travailleurs.
Dans le secteur financier, il est également indispensable de mettre fin à l’emprise des capitalistes. Les dirigeants des banques étaient pratiquement tous impliqués dans la campagne de sabotage et de déstabilisation économique visant à renverser le gouvernement Chavez. S’ils conservent le contrôle de ce secteur, ils s’en serviront lors d’une prochaine tentative contre-révolutionnaire. Toutes les banques devraient être nationalisées et leurs ressources mises au service du développement de l’ensemble de l’économie, du système éducatif, du dispositif de santé publique et de l’ensemble des services sociaux.
Chavez voulait développer l’économie nationale, mieux défendre les ressources du pays face aux pressions de l’impérialisme américain et réaliser un certain nombre de réformes en faveur des travailleurs et des couches les plus défavorisées de la société vénézuélienne. Cependant, son projet s’est heurté à une résistance implacable de la part des capitalistes et de tous les éléments de la société dont la richesse et les privilèges dépendent de la pérennité du capitalisme. Chavez lui-même n’a jamais envisagé d’outrepasser le cadre du système capitaliste, et c’est bien là que se situe la faille de sa démarche. L’action de la classe capitaliste a démontré qu’elle ne reculera devant rien, y compris le renversement par la violence d’un gouvernement démocratiquement élu. Les capitalistes veulent plonger le pays dans le chaos, mettre en place un régime autoritaire au service de ses intérêts et balayer les espoirs nés de la « révolution bolivarienne », quitte à la noyer dans le sang. Toutes les tentatives de conciliation, toutes les concessions aux capitalistes n’ont fait que les encourager dans leur besogne contre-révolutionnaire.
Ceux qui voient dans « l’équilibre » entre les camps opposés un « modèle » ou un « juste milieu » à conserver, et qui conseillent aux travailleurs de ne rien faire qui puisse « provoquer » le Pentagone et la réaction intérieure – ceux-là ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Si la révolution échoue, les journalistes complaisants qui, dans les colonnes du Monde Diplomatique ou ailleurs, se félicitent de la « retenue » et l’esprit de compromis d’Hugo Chavez, s’en laveront alors hypocritement les mains. Pendant que la répression battra son plein, ils nous feront sans doute part de leur déception à l’égard des réactionnaires qui n’auront pas su « jouer le jeu », ils feront signer quelques cartes postales de protestation et, pour finir, réclameront l’envoi sur place des « observateurs » de l’ONU, voire d’une force de « maintien de la paix ».
Les événements vénézuéliens démontrent on ne peut plus clairement qu’aucun compromis avec la réaction n’est possible. L’apparent « équilibre » entre les camps opposés tient au fait que la classe capitaliste est – pour le moment – trop faible pour en finir avec le mouvement révolutionnaire, tandis que ce dernier, faute d’une direction révolutionnaire à la hauteur de la situation, n’a pas pu porter un coup décisif à ses ennemis.
Cette situation ne peut durer indéfiniment. Le danger mortel qui guette la révolution se nourrit du fait que, jusqu’à présent, aucun des problèmes fondamentaux de la société vénézuélienne n’a été résolu. Les propriétaires terriens conservent leur pouvoir et leurs terres. Les capitalistes vénézuéliens et étrangers dominent toujours l’économie. Ils disposent de soutiens puissants au sein de l’Etat. Alors que les grandes familles accumulent des milliards de dollars dans des comptes bancaires étrangers, la vaste majorité de la population vit dans la pauvreté. Le chômage augmente. Les conditions de vie des couches inférieures de la société, loin de s’améliorer, se dégradent de plus en plus, sous les effets de la récession économique mondiale et du sabotage délibéré du patronat vénézuélien.
A deux reprises, les masses déshéritées du pays, victimes d’une économie dont elles n’ont pas la maîtrise, se sont déversées dans les rues de la capitale pour repousser la menace contre-révolutionnaire. A chaque fois que la contre-révolution a relevé la tête, la population l’a assommée. Mais ce ne sera pas toujours le cas. De tels mouvements révolutionnaires imposent de lourds sacrifices à un peuple et sont de grands consommateurs d’énergie psychologique. Par conséquent, à un certain stade, si la lutte actuelle n’aboutit pas au renversement du capitalisme, la masse de la population commencera à se fatiguer et à retomber dans l’indifférence. Les éléments les plus énergiques et révolutionnaires de la classe ouvrière se retrouveront isolés et affaiblis. Le reflux du mouvement révolutionnaire s’accompagnera de nouveaux clivages et alignements au sein des forces armées, ouvrant la possibilité aux éléments les plus conservateurs de reprendre le dessus. C’est alors que la contre-révolution pourra frapper de nouveau, et avec beaucoup plus de chances de succès que les fois précédentes.
Deux voies s’ouvrent devant le Venezuela : celle qui mène à l’aboutissement de la révolution et celle qui mène à sa défaite. Grâce à l’extraordinaire élan révolutionnaire dont ils ont fait preuve, les travailleurs et les jeunes du Venezuela ont créé une situation exceptionnellement favorable à la transformation socialiste de la société. Il faut frapper quand le fer est chaud. Il faut en finir avec le capitalisme au Venezuela et ouvrir ainsi la perspective de la réalisation du socialisme à travers toute l’Amérique Latine.
La Rédaction