Sur les pancartes qui ont animé les premières manifestations d’enseignants de l’année, le constat était unanime : alors que le gouvernement stigmatise la délinquance des jeunes, la seule réponse apportée consiste en un renforcement de l’arsenal répressif. L’école et l’université publiques ne trouvent pas grâce aux yeux de ceux qui veulent sauver le fameux “pacte républicain”, et qui leur préfère l’éducation par l’incarcération, la propagande raciste et le harcèlement policier. Alors que l’enseignement public souffre déjà, de la maternelle à la fac, d’un délabrement généralisé – manque de professeurs et de personnels auxiliaires, précarité de nombreux employés, locaux en déshérence, etc. – Luc ferry et Xavier Darcos parlent de geler le plan d’embauche de professeurs et de supprimer 5600 postes de surveillants et 20 000 d’aides-éducateurs.
En annonçant de telles mesures , M. Ferry et M. Darcos ne font qu’appliquer à leur ministère la politique de pénurie budgétaire que le gouvernement veut imposer à l’ensemble de la fonction publique, à l’exception des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice. Cette politique est elle-même en partie déterminée par la phase descendante dans laquelle est entrée l’économie française. La diminution des recettes fiscales ampute d’autant le budget de l’Etat. Autrement dit, la jeunesse et les travailleurs sont, à nouveau, sommés de supporter le poids de la crise du système capitaliste, pendant que les budgets de la guerre et de la répression sont renforcés. Dans l’Education nationale, cette “politique de rigueur” aurait pour effet d’aggraver une situation intolérable. Mais ce n’est pas le seul danger. L’université fait aujourd’hui face à la mise en application d’une réforme qui menace de remettre en cause la qualité de l’enseignement et d’aggraver les inégalités entre étudiants.
Cette réforme, dite ECTS, n’est qu’une version différemment maquillée du Rapport Attali, contre lequel les étudiants se sont mobilisés avec succès, en 1999. Le gouvernement propose dans cette réforme que l’Etat se désengage partiellement du système universitaire au profit du patronat local. Sous couvert d’harmonisation européenne – par le bas – et de “rapprochement entre l’université et l’entreprise”, il s’agit de régionaliser aussi bien le financement des universités que le contenu des programmes. Ainsi, les universités situées dans des régions pauvres recevraient le financement minimum de l’Etat, pendant que les régions riches bénéficieraient, en plus du soutien de l’Etat, des investissements des entreprises locales.
D’autre part, l’intervention de soi-disant “acteurs privés” dans la définition des programmes aurait pour conséquence de créer des diplômes n’ayant leur pleine valeur qu’aux yeux de l’employeur qui les aurait conçus. Ce n’est plus l’université qu’on rapproche de l’entreprise, c’est le futur salarié qu’on y enchaîne. La part des connaissances générales s’étiolerait, et les filières “non rentables” – lettres, philosophie, sociologie, etc., – se verraient de plus en plus ramenées au rang d’option.
Comme le suggérait déjà le rapport Attali, la mise en place d’un tel système ne manquerait pas de s’accompagner, pour les universités le plus “cotées”, d’une forte augmentation des frais d’inscription. Enfin, le premier diplôme s’obtiendrait non plus à Bac +2 (DEUG) mais à Bac +3 (licence), ce qui aurait pour effet d’augmenter le taux d’échec et de dissuader les étudiants les plus pauvres à commencer des études universitaires, alors que 60% des étudiants sont déjà obligés de travailler pour les financer.
Ce ne sont là que les principaux aspects d’une réforme qui est frappée, de part en part, du sceau des intérêts de la classe capitaliste, lesquels sont complètement en contradiction avec les intérêts de la grande majorité des étudiants. Le patronat considère que l’Education nationale coûte trop cher et qu’elle n’est pas adaptée à ses besoins. Son idéal, c’est un système universitaire “professionnalisant”, c’est-à-dire qui dispense des formations exactement conformes à ses besoins en main d’œuvre – et rien de plus. Voilà pourquoi il souhaite qu’on élimine du circuit universitaire le “trop plein” d’étudiants, à commencer par les plus pauvres. Pour ceux qui restent, il faut encore “dégraisser” en éliminant de leur formation tous les enseignements “superflus”, c’est-à-dire qui ne rentrent pas dans les compétences exigées par leurs futurs employeurs.
La Riposte soutient pleinement la mobilisation étudiante qui s’est engagée contre la réforme ECTS. En dépit des inégalités qui y règnent, notre système d’éducation publique est un acquis social majeur qu’on doit absolument défendre.
En même temps, les attaques du gouvernement contre le système universitaire donnent toute la mesure de l’impasse réactionnaire dans laquelle est entré le capitalisme. De même que la production d’immenses richesses se réalise au détriment du niveau de vie et des conditions de travail des salariés, l’éducation des travailleurs est considérée, au-delà d’une certaine limite, comme un faux-frais du système.
A l’inverse, une organisation socialiste de la société s’appuierait sur les énormes ressources économiques accumulées par l’histoire pour lancer un vaste plan d’éducation, qui donnerait à chacun la possibilité de pousser sa formation intellectuelle aussi loin qu’il le souhaite.
Jérôme Métellus (PCF Paris)