La grève générale du 20 juin dernier était vraiment magnifique ! La grande majorité des jeunes et des travailleurs espagnols brûlaient de manifester leur mécontentement à l’égard du gouvernement de droite. La grève leur en a donné l’occasion.
Le gouvernement de droite a été élu avec une large majorité de voix. Du coup, les journalistes, tout comme les dirigeants de gauche, ont passé leur temps à expliquer que la société espagnole toute entière était en train de virer à droite. Or, cette idée est complètement fausse : la victoire de la droite n’était que la conséquence du discrédit qui touchait la gauche. Ce n’est pas la droite qui a gagné des voix, c’est la gauche qui en a perdu, du fait de son incapacité à répondre aux problèmes quotidiens de la grande majorité des gens. De nombreux commentateurs médiatiques, persuadés que le gouvernement avait un large soutien, jugeaient que la grève serait un échec. Or ce fut un grand succès, avec 4 millions de manifestants dans tout le pays et 500 000 à Madrid.
Avec la convocation de la grève générale, les leaders syndicaux ont enfin tenu compte des aspirations de la population. Et pourtant, quelques mois plus tôt, ces mêmes dirigeants avaient conclu un accord avec le gouvernement fixant à seulement 2% l’augmentation salariale pour l’année 2002. Étant donné le niveau de l’inflation, cela revenait à baisser le pouvoir d’achat des salariés.
Ce soudain revirement de la part des dirigeants syndicaux s’explique, premièrement, par le fait que les directions syndicales ont senti que les travailleurs commençaient, dans différents secteurs, à échapper à leur autorité. Par exemple, lors des négociations salariales, les travailleurs de certaines entreprises n’acceptaient pas les 2% proposés par les syndicats. Ou encore, pendant la grève des transports qui a éclaté quelques semaines avant la grève générale, les salariés ont voté la grève illimitée, contre l’avis des syndicats qui proposaient une grève de 24 heures. Par ailleurs, alors que la manifestation du 1er mai n’a pas mobilisé plus de monde que les autres années, des manifestations comme celle de Barcelone, à l’occasion du G8, a rassemblé des centaines de milliers de personnes.
Les dirigeants syndicaux ont bien compris le sens de cette “indiscipline” : ils étaient en train de perdre leur emprise sur le mouvement.
Deuxièmement, les dirigeants syndicaux ne sont pas parvenus à obtenir du gouvernement qu’il cède quelque chose en échange de l’accord sur la modération salariale. Au contraire, quelques temps après cet accord, le gouvernement a annoncé une réforme réduisant les allocations chômage ainsi que les retraites des travailleurs journaliers agricoles. S’ils laissaient passer cette contre-réforme, les dirigeants syndicaux courraient le risque de perdre le respect des travailleurs. Ils ont alors immédiatement exigé des négociations – que le gouvernement leur a refusées. Ils ont ensuite menacé de lancer des luttes, mais le gouvernement n’a pas bougé. Ils ont finalement menacé de convoquer une grève générale, mais le gouvernement est resté sourd, et a même obtenu de son parlement que l’application des mesures se fassent par décret, ce qui était une façon de montrer son mépris pour les syndicats. A partir de là, les dirigeants syndicaux n’avaient pas d’autre choix que d’organiser effectivement la grève générale.
La Izquierda Unida, une coalition dominée par le Parti Communiste (PCE), a timidement soutenu l’idée d’une grève générale. Le Parti Socialiste (PSOE) a tout d’abord expliqué que la grève générale n’était pas un sujet qui le concernait, et qu’il n’était “ni pour, ni contre”. D’un côté, le gouvernement accusait le PSOE d’organiser la grève dans le seul but d’affaiblir le gouvernement, et, de l’autre, les dirigeants du PSOE s’en défendaient en expliquant qu’ils n’y étaient pour rien !
Finalement, la mobilisation qui s’est engagée autour de la préparation de la grève était telle que le PSOE a dû, le jour venu, la soutenir ouvertement. La pression des travailleurs a eu raison de ses réticences. Ceci dit, le PSOE n’évolue pas encore vers la gauche de façon significative. Il n’y a pour le moment quasiment pas de vie interne dans ce parti.
D’ailleurs, quinze jours après la grève générale, ses dirigeants se sont mis d’accord avec le gouvernement sur l’interdiction du parti indépendantiste basque. De même, lorsque le gouvernement a fait toute une histoire de son conflit avec le Maroc au sujet d’une petite île sans importance, dans le but de détourner l’attention de la population, le PSOE lui a immédiatement emboîté le pas.
Face à la grève générale qui se préparait, le gouvernement a tout d’abord exigé le maintien d’un “service minimum” de 25%, 30% voire 40%, selon les secteurs. Et il a prévenu que quiconque ne respectait pas ce service minimum serait considéré comme un terroriste ! La question du terrorisme est très exploitée en Espagne, du fait notamment du terrorisme basque. En interdisant Batasuna, le gouvernement ouvre la voie à l’interdiction d’organisations qui n’ont rien à voir avec le terrorisme, mais qui luttent contre le capitalisme. En fin de compte, on dirait que le gouvernement considère que quiconque ne soutient pas sa politique est une sorte de terroriste potentiel. La police a par ailleurs cherché à intimider les grévistes au moyen d’interventions très musclées. Par exemple, elle a pénétré dans les locaux publics de l’UGT, et s’en est prise aux militants.
La grève générale a complètement changé l’ambiance sociale et politique en Espagne. Ce que nous venons de vivre a été l’une des plus grandes mobilisations des travailleurs espagnols depuis les années 70, à l’époque de la chute de Franco.
Barbara Areal, Parti Communiste d’Espagne (Comité Central de Madrid)