Le 17 octobre 1961, deux à trois cents Algériens et Français d’origine algérienne, qui manifestaient contre le couvre feu que le Préfet de police Papon leur avait imposé, ont été tués et jetés dans la Seine par des policiers déchaînés.
Quarante ans plus tard, peu de gens connaissent ce pogrom perpétré en plein Paris, avec la bienveillance du préfet de police, lui-même couvert par les plus hautes instances de l’État.
Mardi 17 octobre 2001, à l’Assemblée Nationale, les députés du RPR et de Démocratie Libérale quittent l’hémicycle dans la plus grande confusion. La raison : une question d’un député communiste concernant le massacre du 17 octobre 1961.
La plupart des gens ignorent l’existence de ce massacre ; au mieux le confondent-ils avec celui du Métro Charonne, commis quelques mois plus tard (février 1962), et qui a fait 8 morts – avec, dans le rôle des assassins, les mêmes protagonistes.
Mais ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 est différent par l’ampleur du massacre : les historiens les plus sérieux estiment que le nombre des victimes se situe entre deux et trois cents. Pour comprendre comment cela a pu arriver, il faut de se replacer avant le 17 octobre.
Quelques mois avant le drame, le FLN avait exporté le conflit algérien sur le sol français pour maintenir la pression sur la délégation française lors des négociations. Leurs opérations consistaient en l’assassinat de policiers connus pour leurs exactions sur des militants ou des sympathisants du FLN.
Face à cette “guerre ouverte”, les policiers prirent les choses en main : dès le mois de septembre 1961, ils formèrent, en toute illégalité mais avec l’accord de leur préfet, Maurice Papon, des “escadrons de la mort” : les policiers allaient, le plus souvent à une dizaine, chercher des Maghrébins, les matraquaient et les jetaient dans la Seine. D’après la préfecture, malgré les plaintes déposées par les rescapés, ce n’étaient que des règlements de compte entre fractions rivales du FLN.
Manifestation pacifique contre répression sanglante
Dans ce contexte extrêmement tendu, Papon ne trouva rien de mieux à faire que d’imposer un couvre-feu aux seuls Algériens et Français d’Algérie. Face à cette mesure raciste, la Fédération française du FLN décide d’organiser, le 17 octobre 1961, une manifestation pacifique rassemblant, à différents endroits de Paris, non seulement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants.
C’est une foule immense de gens en habits du dimanche qui arrive à Paris depuis les bidonvilles de la banlieue parisienne, pour protester pacifiquement. Les consignes étaient claires : pas d’armes. Mais ceux qui les attendent n’ont aucune intention pacifique, au contraire.
Dès la sortie du métro, à l’Étoile, sur les Grands Boulevards, les manifestants sont pris en charge par les forces de l’ordre : arrêtés, souvent matraqués, ils sont conduits dans des bus de la RATP réquisitionnés pour l’occasion, et conduits par des agents de la Régie.
Boulevard St. Michel, dans le Quartier Latin, les policiers mènent une vraie “guérilla” contre les manifestants. Ces derniers sont poursuivis jusque dans les ruelles du quartier Saint Séverin et les halls d’immeubles où ils sont matraqués, inlassablement, puis jetés dans la Seine. Les mêmes scènes se passent partout dans Paris et sa proche banlieue : matraquage jusqu’à la perte de connaissance, puis mise à l’eau.
Cet acharnement policier ne se cantonne pas à la manifestation elle-même ; elle se prolonge jusque dans la cour de sûreté de la Préfecture de Police de Paris et dans les camps d’internements improvisés : au Palais des Sports et au Parc des Expositions. Dans tous ces endroits, le scénario est immuable. Les cars de police et les autobus arrivent chargés de manifestants. A la sortie des véhicules, deux rangées de policiers attendent leurs victimes. Dès que les portes s’ouvrent, on pousse les manifestants à l’extérieur ; les policiers les frappent alors à la tête à l’aide de nerfs de bœufs, de planches cassées, de matraques. Ensuite, on les dépossède de toutes leurs affaires, de la montre au portefeuille en passant par les papiers d’identité. Emprisonnés, sans soins, ils sont frappés à loisir par les forces de l’ordre déchaînées.
Bilan officiel : trois morts
Les historiens estiment que plus de cinquante Algériens ont été frappés à mort dans la cour de la préfecture de Police – en présence du préfet Papon – puis jetés dans la Seine, toute proche.
Cette répression s’est poursuivie deux jours durant et jusque dans les quartiers populaires et les bidonvilles.
Le bilan officiel fait état de 3 morts dont un par crise cardiaque. Cependant, en plus du bilan, beaucoup plus lourd, établi par les historiens, et de tous les témoignages d’époque, le procès pour diffamation qu’a intenté Maurice Papon contre le journaliste Einaudi, qui avait décrit dans un livre les événements de cette nuit tragique, a débouché sur la relaxation d’Einaudi et le déboutement du Préfet de Police.
La Riposte