Le saturnisme fait partie des nombreuses maladies courantes qui ne devraient plus exister. Il est dû à une ingestion de quantités importantes de plomb, provoquant une dégradation des fonctions cérébrales, laquelle entraîne une perte significative des aptitudes intellectuelles ainsi que des troubles psychologiques. Les enfants sont particulièrement sujets au saturnisme. Ses effets sont presque toujours irréversibles.
Le plomb est présent en quantité importante dans la tuyauterie et dans la peinture recouvrant les murs des logements construits avant 1948. Par conséquent, le saturnisme est avant tout une “maladie de la misère” qui frappe les familles qui sont entassées dans les centaines de milliers de taudis qui se trouvent répartis sur tous les grands centres urbains français. A Paris, où 5000 cas de cette maladie ont été signalés depuis 1992, le problème est particulièrement grave.
Face à ce fléau, les autorités municipales ont fait preuve d’une négligence tout à fait scandaleuse. Malgré le fait que des concentrations de plomb anormalement élevées sont signalées par le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris, les familles sont le plus souvent laissées sur place. Dans la rue Saint Maur, par exemple, des familles avec des enfants en bas âge vivent depuis plus de cinq ans dans des immeubles à forte présence de plomb. Les enfants sont tout simplement en train de s’intoxiquer au vu et au su des autorités municipales, qui de ce fait nous semblent se rendre coupables de “non-assistance à personne en danger”.
Souvent, les habitants des immeubles à forte toxicité, soit ne comprennent pas le danger, soit s’y résignent. Le saturnisme est une maladie insidieuse, dont les symptômes ne se manifestent pas brutalement. La présence du plomb est indécelable par simple observation. Sa détection présuppose des connaissances qui ne sont pas données à tous. D’où l’urgence d’une intervention énergique et dotée de moyens suffisants, de la part des pouvoirs publics.
Un communiqué publié dans le journal officiel précise que, pour lutter contre le saturnisme, “depuis le 1er janvier 1998, l’APAVE parisienne est en mesure d’effectuer rapidement sur place un diagnostic à l’aide d’un analyseur portable par fluorescence X.” D’autres dispositions étaient prises par la loi contre l’exclusion du 29 juillet 1998, donnant aux préfets les moyens d’agir dans l’urgence, lorsqu’il est constaté qu’un enfant est intoxiqué ou qu’un immeuble présente un risque d’intoxication au plomb. Or, il s’avère que sur les 500 bâtiments à risque qui ont été signalés à la Préfecture, seulement vingt-six (en décembre 2000) ont fait l’objet d’un diagnostic, faute de personnel et de financements adéquats.
Les 500 bâtiments en question ne sont sûrement pas non plus les seuls à poser problème, car aucun dispositif de dépistage systématique n’a été mis en place, et il n’existe pas en conséquence de cartographie des logements atteints. La ville de Paris, “capitale culturelle du monde”, peut se vanter de compter 120 000 logements officiellement qualifiés de vétustes. N’y en a-t-il vraiment que 500 qui comportent un risque de saturnisme ? Même en cas de diagnostic de risque de saturnisme, aucune loi n’oblige les familles à déménager en cas de diagnostic de toxicité et, de toute évidence, les autorités municipales ne sont pas pressées de leur trouver d’autres foyers.
Même lorsque des travaux de désintoxication sont entrepris, ils se font parfois dans des conditions inhumaines et totalement inacceptables. Au 5, rue du Rhin, les quinze familles et soixante enfants habitant à cette adresse ont été touchés par le saturnisme. Une équipe d’ouvriers a été mobilisée pour faire enlever toute la peinture de l’immeuble. Cependant, alors que les ouvriers sont protégés par des masques et des vêtements appropriés, les travaux se font au milieu des occupants, qui respirent depuis plusieurs semaines la poussière générée par le ponçage, poussière dont la toxicité en plomb est cinquante fois supérieure au taux autorisé.
Nous devons exiger un plan d’urgence anti-saturnisme, comprenant le relogement immédiat et sans frais de toutes les personnes habitants dans des logements à risque, accompagné d’une prise en charge médicale d’urgence des enfants atteints ou à risque, et ceci sur l’initiative des pouvoirs publics au cas où les parents n’en feraient pas la demande. Il faut aussi exiger un dépistage systématique de tous les logements anciens et le lancement de travaux pour éradiquer le plomb des tuyaux et des surfaces.
La loi contre l’exclusion précise que “si un diagnostic révèle la présence de plomb, des travaux doivent être réalisés en urgence dans le mois qui a suivi la notification au propriétaire de la présence de plomb dans le logement. En cas de carence du propriétaire, le préfet doit faire effectuer les travaux en mobilisant un fonds d’intervention d’urgence, l’État se retournant ensuite contre le propriétaire.” La mise en application de cette mesure serait déjà un pas en avant. Mais le problème du saturnisme et des mauvaises conditions de logement pose avant tout la nécessité de lancer un programme massif de construction de logements sociaux.
La pénurie de logements fait grimper les loyers et les prix au mètre carré, ce qui fait le bonheur des propriétaires, et notamment des grandes sociétés du secteur immobilier. Encore un exemple de comment le profit privé est incompatible avec le bien-être social.
Greg Oxley