Les méga-fusions et les alliances entre les multinationales sont en train de renforcer le pouvoir économique d’un cercle de plus en plus restreint de capitalistes.
Il y a 150 ans, à l’aube du capitalisme, Karl Marx et Frédéric Engels, dans leur Manifeste Communiste, à partir d’une analyse du fonctionnement du capitalisme, avaient brillamment prédit que le marché dit “libre” mènerait en fait à une concentration toujours plus forte du capital. Aujourd’hui, il faut bien reconnaître que cette prévision a été confirmée à un degré que les auteurs de ce magnifique petit ouvrage n’auraient jamais imaginé possible !
En France, une poignée de “pôles” bancaires et quelques centaines de grands groupes plus ou moins liés les uns aux autres par des prises de participations réciproques jouissent d’un pouvoir déterminant dans la vie économique du pays. Après le “mariage” de Promodès et Carrefour, un article de consommation courante sur trois passera par la centrale d’achats d’une seule entreprise !
Le sort de plusieurs millions de salariés dépend directement ou indirectement des décisions qui sont prises dans le secret par les grands financiers. Chaque fusion donne lieu à des “dégraissages” pour reprendre l’expression en vogue, dans lesquelles tout ce qui est désormais “en double” est supprimé, y compris les emplois, ce qui a pour effet immédiat d’augmenter les taux de rentabilité.
Aux sommets de la société, on se félicite de la “bonne marche de l’économie”. On parle d’une “reprise”, négligeant de mentionner que la production nationale en 1999 augmente moins vite encore qu’en 1998. Peu importe. Les profits grimpent, et les spéculateurs se frottent les mains. Mais pour les salariés, qui ne vivent pas de l’exploitation du travail de l’autrui , la situation est très différente.
Certes, des emplois ont été créés au cours de la dernière période. Mais d’autres ont été détruits. Et les nouveaux postes ne valent pas ceux qui disparaissent. La précarité avance à grands pas. Plus de 600 000 salariés ne survivent que par l’intérim. Le nombre de postes à “temps-partiel imposé” monte en flèche, menant à un appauvrissement de la population, et notamment des jeunes. Le nombre de smicards a augmenté de 50% depuis 1994 ! Même les 35 heures, une revendication sociale justifiée et nécessaire, sont en train d’être détournées de leur objectif -le partage du travail – à l’avantage des employeurs qui en profitent pour introduire plus de “flexibilité”, augmentant le taux d’exploitation de chaque salarié et évitant ainsi d’embaucher.
Le plus insupportable, c’est que cette concentration de richesses au sommet de la société et la généralisation de la précarité et de la à sa base se font avec la complicité du gouvernement qui se détourne progressivement des aspirations de son électorat. Les privatisations constituent un transfert massif d’actifs publics aux intérêts privés, qui s’en serviront désormais pour maximiser leurs gains au détriments des salariés et de l’intérêt public en général.
“”Juppé l’a rêvé, Jospin l’a fait” La formule irrite les deux hommes.” lit-on dans un éditorial récent du journal Le Monde, qui poursuit : “S’agissant des privatisations, elle reflète pourtant bien la réalité. Avec intelligence, avec habileté et avec, parfois, une dose certaine d’hypocrisie, le gouvernement Jospin a achevé, en deux ans, la privatisation de l’ensemble des entreprises du secteur concurrentiel.”
Le Monde encourage ensuite le gouvernement à poursuivre jusqu’au bout sa démarche, et à autoriser la création de fonds de pension similaires à ceux qui existent à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne. “Ces fonds imposent leur loi à nos grandes entreprises ; ils sont les véritables arbitres des batailles boursières en cours. A ces fonds anglo-américains, la France doit pouvoir opposer les siens. Fonds de réserve, fonds épagne-retraite ou fonds partenariaux de retraite, peu importe. La France doit se doter des armes du nouveau capitalisme”. (Le Monde 17.07.99)
Aller dans cette voie serait sonner le glas du système de retraites par répartition et transformerait les caisses de retraite en un immense outil spéculatif, et ce alors que les retraites sont déjà gravement remises en cause par le projet de prolongement de la période de cotisation.
Pour sa part, le journal britannique The Observer, a titré “Oubliez Thatcher ! Qui sera le plus grand privatiseur de tous ?” en expliquant que Chirac, entre 1986 et 1988, n’avait pu transférer aux intérêts capitalistes que pour 70 milliards de francs de biens publics, que Balladur et Juppé avaient vendu pour 107 milliards et 25 milliards respectivement, mais que Jospin allait bientôt totaliser 113 milliards de francs en privatisations ! “Même des capitalistes dans le mouvement gaulliste avaient le sentiment que certains secteurs tels que les télécommunications, ou la défense et le secteur nucléaire, par exemple, ne devaient pas être vendus à quelque prix que ce soit. Jospin et son Ministre des Finances ne montrent pas de tels scrupules…” (Observer 07.03.99)
Le devenir des secteurs privatisés sera désormais décidé à coups de “raids” boursiers et d’actions spéculatives, conjugués avec une pression sans relâche sur les salariés pour plus de productivité, pour moins d’effectifs et moins de rémunération. Elf a fait 17 milliards de bénéfices, et annonce des milliers de suppressions d’emplois. Alcatel en a fait 8 milliards, et supprime des emplois par milliers également. Ce comportement, totalement inacceptable d’un point de vue socialiste, est néanmoins parfaitement en accord avec la loi du marché et du profit privé.
L’argument de Dominique Strauss-Kahn, selon lequel les privatisations et les fusions comme celle qui a failli avoir lieu entre la banque Société Générale-Paribas et la BNP vont dans le sens de “l’intérêt général”, est encore moins crédible quand on sait que 50% des actions de la Société Générale, 48% de Paribas et au moins 40% de la BNP sont déjà tenues par des fonds de pension ou d’autres fonds d’investissement étrangers, notamment américains et britanniques.
Les deux géants pétroliers Total-Fina et Elf sont eux aussi majoritairement contrôlés par des fonds de pension étrangers également. Sur les plus grands groupes nominalement français, ceux dont les cours boursiers servent à calculer l’indice CAC40, ces fonds de pension détiennent en moyenne 40% des actions, une évolution que les privatisations favorisent directement.
Il est vrai que, du point de vue des salariés des entreprises concernées, il n’y a aucune raison de croire que des spéculateurs boursiers bleu-blanc-rouge seraient moins rapaces que leurs homologues anglo-saxons. Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce qui est en train de se passer chez Renault actuellement.
La Riposte a déjà publié des articles d’un représentant syndical de chez Renault, Jean Castilla, dans lequel il explique les dangers qui pèsent sur l’emploi dans cette entreprise. Depuis la privatisation, les conditions de travail se sont dégradées et la pression “productiviste” sur les salariés s’est nettement accentuée. Sur les 6000 salariés du l’usine Renault de Douai, 27 sont décédés au cours de l’année 1998, contre 11 en 1997 et une moyenne de 15 décès annuels depuis le début de la décennie. Ces décès étaient dûs à des cancers, des à crises cardiaques etc. maladies qui ne sont bien évidemment pas sans rapport avec l’environnement, le stress et la fatigue d’un travail en milieu industriel. Sur ces 27 décès, six étaient le résultat de suicides.
Le Canard Enchaîné a mené une enquête concernant l’usine de Douai et le député communiste Georges Hage a réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions de travail chez Renault. Pour la direction, y compris les représentants du gouvernement (qui détient encore 46% des actions), c’est par hasard que ces suicides ont lieu dans une usine où la productivité a été poussée à outrance. Les 35 heures, qui devaient favoriser l’embauche et soulager la pression exercée contre les salariés, se traduiront chez Renault par des milliers d’emplois en moins, ce qui n’empêche pas le directeur de l’usine de Douai, un dénommé Yann Vincent, de déclarer qu’il faut maintenant “produire autant de richesses, voire plus, en 35 heures qu’en 39”.
Voilà la dure réalité d’un fonctionnement capitaliste. Tous les salariés de France sont confrontés aux mêmes pressions. Que l’on se trouve derrière un ordinateur dans un bureau, au volant d’un camion, où sur un rayon de grande surface, les exigences patronales sont de plus en plus fortes et les considérations humaines concernant l’état physique et psychologique du salarié de plus en plus bafouées.
C’est là tout le paradoxe de la situation vis-à-vis du gouvernement actuel. Juste au moment où le capitalisme devient plus acharné, plus écrasant, plus rétrograde, c’est à ce même moment que les têtes pensantes du Parti Socialiste lui découvrent des vertus insoupçonnées.
Le socialisme, transformé par certains en un discours creux et racoleur à usage électoral, signifie en réalité une lutte contre cette folie productiviste, contre cette précarisation, ce nivellement pas le bas, cette soumission à un “marché” qui échappe au contrôle de la société. Les entreprises privatisées devraient être renationalisées, non pas à la manière des nationalisations passées mais avec une gestion démocratique. Un secteur public minoritaire, et donc soumis aux lois du marché, ne suffira pas à changer radicalement les conditions de vie du plus grand nombre. Une extension massive du secteur public est nécessaire afin d’instaurer une planification démocratique de l’économie. Dès lors, la technologie cessera d’être l’ennemi redouté du salarié, ne sera plus une arme pour détruire des emplois, mais deviendra au contraire un moyen d’émancipation du salarié, permettant de créer des richesses dans le respect du bien-être des travailleurs.
L’avenir social et économique de la France ne doit dépendre ni des fluctuations boursières ni du pouvoir arbitraire des grands banquiers. En transformant la société, en jetant les bases d’une planification démocratique et socialiste de l’économie, les salariés se rendront maîtres des principaux leviers de l’économie, qui ne sont pas autre chose que le fruit de leur travail.
Collectivement, nous pourrons alors décider de ce qui est produit, dans quelles conditions, dans quelle quantité et à quelle destination. Avec le socialisme, la conscience humaine entrera enfin dans le domaine économique, remplaçant la mécanique infernale du “marché” opérant au seul profit d’une minorité toute-puissante.
La Rédaction