Le Monde du mercredi 20 juin 2000 relate en
première page le témoignage d’une Algérienne. Il s’agit de
Lila Ighilariz qui fut torturée par l’armée française en 1957 après
avoir été capturée par la 10ème division parachutiste stationnée à Paradou
Hydra. Cette division était commandée par le Général Massu, et Bigeard
était également présent.
Citons Lila : “Massu était brutal, infect. Bigeard
n’était pas mieux, mais le pire c’était Graziani. Lui était
innommable, c’était un pervers qui prenait plaisir à torturer.
Ce n’était pas des êtres humains”. Lila a souvent hurlé
à Bigeard : “Vous n’êtes pas un homme si vous ne m’achevez
pas”. Et lui répondait : “Pas encore, pas encore !”.
L’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet n’a
pas été poursuivi pour son coup d’Etat, mais pour avoir ordonné
et peut-être pratiqué la torture. Des magistrats espagnols et français
ont lancé des mandats d’arrêt suite à des plaintes de Chiliens
qui avaient été torturés sous le régime de Pinochet. Non seulement Massu
et Bigeard n’ont pas été poursuivis, mais ils ont obtenu des honneurs.
Bigeard a même été parlementaire ! Salan, Jouhaud, Challes et Zeller
ont connu la prison pour tentative de coup d’Etat. Peut être n’avaient-ils
jamais torturé, bien que cela ne soit pas sîr !
Bigeard est l’auteur d’un livre intitulé :
“Le manuel de l’officier de renseignement”. Ce document
officiel a été publié par l’armée française et imprimé chez Lavauzelle,
Boulevard Saint-Germain, à Paris. J’ai eu personnellement ce livre
entre les mains durant mon séjour sous les drapeaux en Algérie. Sur
la couverture était portée la mention “Écrit au camp Jeanne d’Arc
par le colonel Bigeard”. Ce livre décrit avec autant de précision
que de sadisme les méthodes de torture préconisées : la magnéto dite
“gégène” qui produit du courant continu haute tension que
l’on envoie par les parties génitales ou les mamelons des seins
quand il s’agit de femmes. Lila a dû connaître ce supplice ! Y sont
décrits également le masque à gaz dans lequel on introduit de l’eau,
la baignoire, etc.
La baignoire, Lila en parle. Sa mère a subi ce supplice.
On a également fait devant elle un simulacre de pendaison de son enfant
âgé de trois ans.
A l’époque, les officiels prétendaient que la
torture en Algérie était le fait de “cas isolés”. Ce n’est
pas vrai ! La publication du livre de Bigeard en témoigne, prouvant
qu’il s’agissait bien d’une pratique généralisée et organisée
en haut lieu dans l’armée.
Dans chaque place du territoire algérien, il y avait
un “officier de renseignement”, tortionnaire officiel entouré
de son équipe de “Paras”. Dans le Constantinois, où j’ai
passé seize mois en 1959 et 1960, j’ai personnellement observé
les faits suivants. A Telergma sévissait le lieutenant Durudaud, officier
sadique qui “questionnait” en moyenne cinq personnes par jour.
L’état dans lequel il les laissait scandalisait les gendarmes chargés
de les interner ! Durudaud trouva la mort dans une opération de renseignement
qu’il avait montée. Il a eu la légion d’honneur à titre posthume !
Dans la place d’Ain M’lila, le renseignement était l’affaire
du Comte de Clermont, fils de Henri, Comte de Paris. Son “officine”
était à un niveau supérieur à celle de Telergma quant aux nombre d’interrogatoires
quotidiens. Enfin, à Constantine, la ferme dite Ameziane, de sinistre
mémoire, était un véritable camp de la mort où la torture était pratiquée
de façon industrielle.
La guerre d’Algérie a fait environ un million
de morts du côté algérien, à comparer à 32 000 du côté français. Combien
d’Algériens ont subi la torture ? Le silence est fait sur cette
question, mais il y a fort à parier qu’une forte proportion du
million de morts l’a subie, car une exécution sommaire et sans
jugement suivait souvent la séance de torture.
On compte environ 40 000 morts et disparus après le
11 septembre 1973, date du coup d’Etat de Pinochet, de la mort
de Salvador Allende et de l’incendie du palais de la Moneda.
Pinochet porte la responsabilité de ces événements.
Quand déposera-t-on une plainte contre Bigeard et Massu afin qu’ils
puissent être jugés pour leurs crimes ?
Pinochet, Milosevic, Mavlic, Massu, Bigeard… même
combat ! Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Mais
qui enverra Bigeard devant le Tribunal International de La Haye ? La
Fédération Internationale des Droits de l’Homme pourrait y penser.
L’auteur est membre du PS et Maire Adjoint à Orly (94)
Robert Chley