Les ouvriers et les paysans boliviens mènent un combat permanent contre les privatisations imposées par les plans d’austérités du FMI et de la Banque Mondiale. L’année 2000 marque une accélération et une radicalisation des revendications.
En mars 1996, le précédent gouvernement, celui de M. Sanchez Losada, a fait face à une grève générale contre la privatisation de la compagnie pétrolière YPFB qui avait été nationalisée lors de la révolution de 1952. L’année précédente, en avril 1995, le pouvoir avait arrêté 100 syndicalistes, paysans et étudiants en déclarant l’état d’urgence. L’objet des luttes tournait à nouveau autour des méfaits des plans d’austérité et des privatisations. C’est dans cette atmosphère de crise que Hugo Banzer est revenu au pouvoir grâce à un programme populiste. Il promettait alors de “mener la guerre contre la pauvreté”. L’ancien dictateur, à la tête de la Bolivie de 1971 à 1978, s’étant découvert une âme de démocrate, a emporté les élections présidentielles de 1997 d’une courte majorité. Avec 24% des suffrages, la composition du gouvernement s’est faite autour d’une coalition hétéroclite de partis du centre et de droite. Le président Banzer mène depuis une politique d’austérité économique dictée par le FMI et la Banque Mondiale.
Au mois d’avril dernier, la Bolivie s’est retrouvée au devant de l’actualité mondiale lorsque l’état de siège a été décrété suite aux violentes manifestations de Cochabamba. C’est le projet de privatisation du service de gestion de l’eau qui avait mis le feu aux poudres. Cochabamba, la 3ème ville de Bolivie, a connu une rapide expansion au cours de la dernière décennie, principalement grâce aux cultures de coca. Aujourd’hui, l’approvisionnement en eau de la ville est problématique. En 1999, un consortium privé, composé de capitaux britanniques, espagnols et boliviens a été créé pour la construction d’un barrage. C’est la décision d’augmenter de 45% ses tarifs pour cet investissement qui a déclenché les mouvements de contestation.
Mais, au-delà de la question de l’eau, la situation sociale en Bolivie est animée. Les paysans luttent contre la réforme agraire qui tend à concentrer les terres entre peu de mains. Les étudiants revendiquent une augmentation de la part du budget allouée à l’éducation. Les fonctionnaires luttent contre la précarisation de leur situation. Les paysans de la région du Chapare, où se trouvent les productions illicites de coca, sont en situation de combat armé avec les unités militaires spécialistes de l’éradication des cultures illégales de cette feuille verte, matière première de la cocaïne. Tous ces mouvements sociaux se renforcent mutuellement et mènent une lutte solidaire contre la politique du gouvernement. Le 4 avril 2000, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Cochabamba suite à un mot d’ordre de grève générale. Le lendemain, les paysans se sont solidarisés au mouvement en bloquant les routes avec des arbres et des pierres. Le gouvernement a répondu violemment en envoyant des forces policières anti-émeutes. Le 7 avril, sept leaders syndicaux sont arrêtés et l’état de siège est déclaré pour une durée de 3 mois. A La Paz et dans plusieurs autres villes ou campagnes, des manifestations se sont déclenchées. On a même assisté à des mutineries dans les rangs de la police. Une partie des policiers s’est solidarisée avec le mouvement contestataire. Ils réclamaient des améliorations de leurs conditions de travail et notamment en terme de salaire. Le pouvoir tenta d’utiliser l’armée, sans succès. Il fut contraint d’accorder des augmentations de salaire allant jusqu’à 50%.
Finalement devant la pression de la rue, le gouvernement a été obligé de céder. Le 26 avril, M. Herbert Muller, ministre des finances, a démissionné. Au mois de mai, le mouvement dirigé par la Coordination por la defensa del agua y de la vida obtient la rupture du contrat de concession de Aguas des Tunari et la révision de la loi sur la distribution de l’eau et de l’assainissement. Les paysans de l’Altiplano ont quant à eux obtenu la signature d’un protocole dans lequel le gouvernement s’engageait à prendre en compte leurs revendications. Enfin, un projet de loi sur le travail fut présenté par le gouvernement, qui prévoyait notamment la mise en place d’une assurance chômage et d’un nouveau code du travail.
Ces avancées obtenues par les grévistes et manifestants ne suffisent pas à calmer la situation, à peine 6 mois plus tard, les grèves continuent de se multiplier. En septembre, les enseignants demandent une augmentation de salaire de 50%. La lutte des paysans se radicalise autour des problèmes de l’eau et de la loi agraire. Ils utilisent la stratégie désormais traditionnelle de blocage des routes. Au début de ce mois d’octobre, les routes boliviennes ont été complètement paralysées pendant plus de 2 semaines, des affrontements violents avec les paysans ont fait 10 morts. Le 8 octobre, le gouvernement Banzer a encore une fois fait quelques concessions pour calmer le jeu. Mais l’accord obtenu est partiel et les demandes de démission du gouvernement se font de plus en plus pressantes. La Bolivie se classe parmi les pays les plus pauvres d’Amérique Latine, situation paradoxale lorsqu’on sait que ce sont les extractions minières de Potosi qui ont enrichi l’Espagne du XVIIième siècle et ont ainsi contribué à la naissance du capitalisme. Après les années noires d’hyper-inflation – 23000% en 1985 ! – un plan d’ajustement dicté par le FMI et la banque mondiale a été mis en place. Privatisation des extractions minières (30000 mineurs licenciés), privatisation des grandes industries, “assainissement” de l’économie, toutes ces mesures ont aggravé le niveau de pauvreté des boliviens.
Quelques hommes d’affaires s’enrichissent alors que la grande majorité souffre de la précarisation de la société. Les maigres concessions obtenues lors des récentes grèves ne suffiront pas à calmer la colère des paysans, des mineurs et des chômeurs. La police et les fonctionnaires sont d’une manière générale souvent solidaires des revendications. Le gouvernement est fragilisé par les quinze ans d’austérité subis par le pays.
Nominalement, la Bolivie est aujourd’hui une république démocratique. Les Boliviens ont une certaine tradition militante, ils sont indiens à plus de 60% et, constitutionnellement, le pays est un État multiculturel et multiethnique. Nul part ailleurs en Amérique, les indiens ont acquis une telle reconnaissance politique et sociale. La Bolivie est connue pour être un des pays les plus sûrs d’Amérique Latine, et malgré la fréquence des luttes sociales, elles ne prennent pas la forme violente observée au Pérou avec le Sentier Lumineux ou en Colombie. Cependant, la situation sociale pourrait rapidement prendre un caractère révolutionnaire, qu’elle a pris en Équateur, en Janvier. Un programme politique est nécessaire pour orienter la lutte et pour coordonner les différentes revendications qui surgissent de tous les secteurs de la société. Mais aujourd’hui, les partis politiques boliviens sont discrédités aux yeux du peuple car ils appliquent tous la même politique libérale dès qu’ils accèdent au pouvoir. De plus, ils se retrouvent, comme dans tous les pays rencontrant des difficultés économiques, soumis au dictat des investisseurs capitalistes et des organisations internationales.
Cécile Schley, Parti Socialiste d’Orly (94)