Les événements du mois de juillet en Iran marquent un tournant dans l’histoire du pays. Les manifestations massives des étudiants dont les aspirations sont partagées par une majorité d’Iraniens, est un signe sûr que l’Iran s’achemine vers une nouvelle crise révolutionnaire. Les étudiants représentent une force très importante en Iran, où le système éducatif consomme un tiers du budget d’état, 65% de la population ayant moins de 25 ans.
A l’heure actuelle, les étudiants sont en train de subir une répression particulièrement violente. Par des arrestations massives, la torture et l’assassinat, les Mullahs tentent désespérément de sauver leur régime.
Mais après une mobilisation si importante de la part de la jeunesse, plus rien ne sera comme avant. Initialement, les revendications des étudiants se limitaient à la liberté de la presse , encore très restreinte, et à la mise en oeuvre des réformes timides de l’aile “moderniste” de Mullahs, représentée par Khatami.
Mais très rapidement, étant donnée l’ampleur du mouvement qui se développait, leurs mots d’ordre sont devenus de plus en plus audacieux. En exigeant la mise en place d’un régime démocratique, ils menaçaient les fondements même du régime en place, “conservateurs” et “modernistes” confondus.
Il y a vingt ans, Khomeini avait promis un régime “pur” et “incorruptible”. En réalité le régime des Mullahs est totalement corrompu.
Le courage et l’engagement des étudiants sont un gage pour l’avenir. Les étudiants se remettront de la répression actuelle tôt ou tard. Mais le facteur déterminant dans les mois et les années à venir sera le comportement de la classe ouvrière.
De nombreuses grèves importantes ont eu lieu au cours des années 90. En 1995, les 4000 salariés de l’usine Benz Khavar, le fabricant allemand de camions, se sont mis en grève pour une augmentation des salaires et des congés. La même année, les travailleurs du textile à Ghaem Shahr ont également fait grève. Mais la puissance potentiellement décisive du salariat iranien réside surtout dans les traditions militantes des travailleurs de l’industrie pétrolière.
Pendant la révolution contre le Shah en 1979, alors que des manifestations massives se déroulaient à travers le pays, la déclaration d’une grève nationale de l’industrie pétrolière a porté un coup terrible au régime, faisant brusquement basculer le rapport de forces en faveur de la révolution.
Le Shah a ordonné l’intervention de l’armée contre les travailleurs du secteur. A la raffinerie d’Abadan, 70 grévistes étaient arrêtés, ainsi que le dirigeant du syndicat des travailleurs du pétrole à Téhéran. A la suite de ces arrestations, la grève a fait tâche d’huile, pour ainsi dire, avec le débrayage des travailleurs d’Ahvaz et d’autres sites pétroliers. Bientôt, les 70 000 grévistes du secteur allaient presque complètement paralyser la production et l’exportation du pétrole. Cette grève était l’élément décisif dans le renversement du Shah.
Cependant, la faillite politique du Tudeh, le Parti Communiste d’Iran, a empêché la révolution d’aboutir, permettant aux Mullahs de prendre le pouvoir.
Sous le régime des Mullahs, les conditions de travail et de rémunération des travailleurs pétroliers ont été sans cesse remise en cause et leur pouvoir d’achat a diminué. La sous-traitance remplace des emplois réguliers et les conditions contractuelles sont devenus de plus en plus précaires. Les “contractuels”, pour garder leur place, sont souvent astreints à des heures supplémentaires non payées, sous peine de renvoi. A travers l’implantation de diverses “sociétés islamiques” sur les lieux de travail, les salariés étaient espionnés par des informateurs, permettant d’écarter les éléments militants.
Malgré toutes ces pressions, la dernière décennie a été marquée par des mouvements témoignant d’un malaise croissant dans le secteur pétrolier, Une lutte majeur s’est déclenchée en 1988 et 1989, dans la foulée de la guerre Iran-Irak, revendiquant le versement des salaires en argent à la place des “bons”. En 1990, les travailleurs de la raffinerie d’Ispahan ont exigé un taux de 200% pour les heures supplémentaires. Malgré une trentaine d’arrestations, la grève a duré quinze jours et a fini par arracher la libération des grévistes détenus et un engagement sur l’augmentation des salaires.
A la fin du mois de janvier 1991, un nouvel arrêt de travail massif avec grève de la faim a eu lieu à Ispahan et Abadan. Les travailleurs de ces raffineries exigeaient une échelle mobile salariale, la régularisation des salariés non couverts par la législation sociale, une définition du statut de chaque salarié et la provision d’une allocation logement. Malgré la menace d’une répression sanglante qui pesait sur les grévistes, ils ont tenu bon pendant plusieurs semaines. Finalement, le gouvernement a dû céder sur la plupart des revendications, accordant notamment une augmentation générale des salaires de 36%. Plus significatif encore, le gouvernement, agissant pour sauver la face par le biais du “Conseil Suprême du Travail” a décidé de renoncer à l’implantation de ses “sociétés islamiques” dans l’industrie pétrolière, reconnaissant dans un communiqué le “caractère sensible” de cette question dans le secteur !
L’année 1996 a été également marquée par des grèves dans l’industrie pétrolière. Le 19 et 20 août 1996, 600 travailleurs du secteur à Téhéran, principalement affectés aux unités de stockage et aux entrepôts de gaz ont organisé une grève et une manifestation, marchant sur le siège des sociétés islamiques pour protester contre le non-respect de certains accords et de la législation sociale. Enfin en décembre 1996, une grève d’avertissement de deux jours, menaçant le lancement ultérieur d’une grève illimitée , a eu lieu à Téhéran, Tabriz, Chiraz et Ispahan. A Tabriz, les deux jours de grève initialement prévus étaient suivis de trois semaines de “grève de zèle”, faisant courageusement face au risque de licenciements, d’arrestations, voire d’assassinat par les forces de sécurité.
Le régime est aujourd’hui affaibli et divisé. Le “réformisme” de Khatami est complètement discrédité par la répression des étudiants. La surproduction pétrolière et les fluctuations du prix du brut aggrave encore la situation économique. Toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle explosion sociale dans un proche avenir.
La Rédaction